Ma femme est une actrice
Jean-Michel Jarre, 56 ans, compositeur et créateur de shows électroacoustiques planétaires, s’est retrouvé jeté en place publique pour infidélité.
PERRIGNON Judith
Se retrouver avenue Montaigne à Paris, en bas de chez Jean-Michel Jarre, en retard. Contempler la faune bronzée, argentée et sans goût. Imaginer, quelques mois plus tôt, des paparazzi en grappes traquant jusque dans l’escalier l’homme proclamé infidèle. Ne pas se mentir, ne pas mentir, et dire que l’on n’est pas simplement venu parce qu’il sort un nouveau disque et prépare un show aux portes de la Cité interdite à Pékin pour l’ouverture de l’année de la France en Chine. «Je m’y attendais», répond-il.
Il a ôté ses baskets. S’est assis pieds nus en tailleur dans son canapé brun. On est chez lui. Olivier Dassault habite au huitième, lui au quatrième. Il y a des fils électriques qui rampent le long de la moquette. Des murs nus, des étagères qui ne croulent pas sous les souvenirs, si ce n’est un buste de Beethoven. Epure d’une vie en pleine recomposition. «J’ai eu l’impression d’être pris dans un show de télé-réalité. J’ai évidemment une autre version des faits, je ne la donnerai pas par respect des gens, y compris pour elle.» Il ne cite aucun nom, jamais. «Elle», c’est Isabelle Adjani, sa meilleure attachée de presse.
Jean-Michel Jarre, c’était Oxygène il y a vingt-huit ans, Equinoxe deux ans plus tard, génériques télé, musique électro inoffensive noyée de lumières, accrochée au Mont- Saint-Michel, à la muraille de Chine, aux pyramides d’Egypte, et reléguée par la nouvelle vague électroacoustique. Et puis «elle» et lui ont fait la une de Paris-Match pour dire qu’ils s’aimaient. Photos noir et blanc d’un couple qui avait visiblement l’adresse d’une bonne thalasso à jouvence. Deux ans plus tard, «elle», toujours en une, annonce qu’elle le quitte parce qu’il la trompe. Les rotatives s’emballent. Avis de recherche sur la maîtresse. Vient l’Express, «elle» veut briser le tabou de l’infidélité masculine. Rarement potin mondain, banale histoire de coucheries chez les quinquas qui ont l’air d’en avoir 20, aura à ce point circulé aux vitrines du grand jour. Jarre ne dit mot. Mais répond en s’offrant lui aussi sa une de Match, avec l’actrice Anne Parillaud dans le jardin des Tuileries. Elle le journal, cette fois se fout de sa coupe de cheveux lycéenne, probablement par amitié pour «elle». Mais VSD le défend. Et sous ses fenêtres, les chasseurs d’images, enfin, se calment. Le feuilleton s’est bien vendu. Du coup, on s’est souvenu de Jean-Michel Jarre.
Il a 56 ans. Il a commencé en écrivant les Mots bleus, ceux qu’on dit avec les yeux. Veut pas finir en salaud des salons féminins. «Prendre un cas d’espèce pour lever un tabou français, c’est n’importe quoi. On s’est battus des années pour l’égalité des sexes pour en arriver là ! Dans une relation, il n’y a ni bourreau, ni victime. Quand ça va pas, c’est l’un, c’est l’autre.» Veut pas avoir de comptes à rendre : «On n’était pas mariés, on n’avait pas d’enfant.» Veut pas finir en vieux beau de la presse people. «On est dans une époque postwarholienne, où un anonyme peut devenir une star pendant quelques mois. Nous autres gens du spectacle, des arts, nous avons la responsabilité de ne pas nous mettre à ce niveau-là.» Etre plus haut, beaucoup plus haut. Il n’est pas le Johnny national. Mais JMJ (ça rappelle les foules papistes des Journées mondiales de la jeunesse) fait toujours événement. Et recettes à l’exportation. Pas de visite chez lui sans passer par le fauteuil Plexiglas. Vous y voilà installée au milieu du salon, cernée de cinq enceintes placées à équidistance, et en avant la musique. Messe en technique 5.1 s’il vous plaît. Il y a les Fleurs du mal sur la table basse. C’est drôle. The Independent, venu l’interviewer au mois d’août, l’avait noté aussi.
Fleur mâle, musicienne et présumée volage, a sous elle des racines de chêne. Le père les a quittés, lui et sa mère, quand il avait 5 ans. Maurice Jarre, qui travaillait pour Jean Vilar et le TNP, laissa à son fils quelques bribes de souvenirs d’Avignon, puis partit pour l’Amérique, écrire des musiques de film (Lawrence d’Arabie, Docteur Jivago…), brandir des oscars, se remarier, redivorcer… sans donner de nouvelles. «Je peux compter le nombre de fois où j’ai vu mon père. Ça se passait sans conflit. Je le regrette, c’est mieux d’avoir des conflits. Le sentiment d’absence et d’indifférence est lourd. Ça commence à aller mieux depuis les cinq dernières années. A chaque décennie, j’espère que les choses vont s’arranger. Nous sommes deux musiciens célèbres dans la même famille, c’est rare, mais on a très peu échangé.» La mère est restée seule après le départ de son mari. Elle s’est installée dans un deux pièces à Issy-les-Moulineaux, tenait un stand aux puces de Saint-Ouen. Elle racontait et raconte encore sa guerre, «elle plaignait même les Allemands, couverts de plaies», elle la résistante, «une rouge» du groupe des Francs-Tireurs de la région de Lyon, déportée et revenue de Ravensbrück. Il y a aussi en mémoire chez JMJ la figure du grand-père, inventeur du Teppaz, ce petit électrophone avec haut-parleur dans le couvercle, le passage des cirques cours de Verdun à Lyon où vivaient ses grands-parents. «J’étais fasciné de voir les gens se poser un soir avec leur caravane et disparaître le lendemain matin, et j’aime encore l’idée du spectacle d’un seul soir, surtout dans cette société d’archivistes où les gens écoutent les infos de 10 heures, de 18 heures, de 20 heures, stockent des images qu’ils ne regarderont pas dans leur Caméscope, et téléchargent des tonnes de musique qu’ils n’écouteront pas.»
Le fils semble avoir cherché puis trouvé la lumière qui lui vola son père. Il s’y est niché, travaillant sa stature d’artiste consensuel, artificier des cérémonies officielles, caressant le succès mondial qui se décline en millions d’albums vendus et assied des actrices à votre table. Il avait demandé à un ami de lui présenter Charlotte Rampling. Elle était mariée, avec un petit garçon de 3 ans, lui aussi, avec une petite fille. Il fut parmi les premiers pères en France à obtenir la garde d’un très jeune enfant. Ils vécurent ensemble vingt ans et élevèrent trois enfants. Adjani, histoire d’élever le débat au rang de drame sociétal, assurait dans Match qu’il avait aussi trompé Rampling. «Voir impliqués des gens de ma famille, mes enfants, la mère de mes enfants, m’a vraiment choqué.» Son fils a 25 ans, il est magicien. Sa fille 28 et fait du design. Le tourtereau de l’été a de grands enfants.
Il ne boit pas. Ne fume pas. Se surveille de haut en bas. A-t-il peur d’être ringard ? Non. «Quand j’ai commencé, ma musique était marginale. J’ai toujours eu l’impression de faire des brouillons et que la copie est à venir.» Pour son concert en Chine, il a, il y a un an, fait le tour de l’avant-garde culturelle, icônes du rock local, vidéastes, plasticiens, peintres, et les a associés à son show. «Pas d’idée préconçue depuis le Flore.» Vieillir n’est pas un problème. «Il y a longtemps j’ai rencontré Fellini et Giulietta Masina, j’étais fasciné. Ce qui est important, c’est vieillir avec l’autre.»
Qui est l’autre ? Pour l’heure, c’est toujours Anne Parillaud, qui lui offre ses yeux pour un plan séquence de soixante-quinze minutes sur le DVD qui accompagne sa musique. S’il y a du changement, on peut compter sur son envahissante attachée de presse.