De l’art de rompre médiatiquement

De l’art de rompre médiatiquement

Laurent Greilsamer

L’ACTRICE Isabelle Adjani vient d’inaugurer, en France, une nouvelle forme de rupture amoureuse. Depuis un mois, elle annonce et commente la fin de sa liaison avec le compositeur Jean-Michel Jarre dans les grands titres de la presse hebdomadaire. Tout a commencé dans Paris Match (24-30 juin) : « J’y ai cru et il m’a trompée ». Le feuilleton a rebondi dans Elle (12 juillet) : « Pourquoi je témoigne », puis dans L’Express (19 juillet) : « Pourquoi j’en parle ».

Cette rupture-là est une guerre. Une guerre préventive et publique. Isabelle Adjani a choisi de révéler la « trahison » de son amant pour échapper au statut de victime et recouvrer sa liberté. En prenant la parole, en guerroyant avec vaillance et violence, elle le réduit provisoirement au silence.

Et, de fait, Jean-Michel Jarre n’a pour l’instant répliqué que par l’image, en s’exposant avec l’actrice Anne Parillaud dans Paris Match (15-21 juillet), ou par des confidences indirectes à VSD (22-28 juillet).

Faut-il purement et simplement reléguer ce feuilleton dans la catégorie people ? Ce serait trop simple. Cette rupture cristallise des ingrédients étrangers au genre. Et d’abord une théâtralisation autour du statut de la femme. Isabelle Adjani l’exprime avec une sorte de gourmandise, dans le double rôle d’une analyste et d’une militante.

Si elle s’est décidée à parler, dit-elle, ce n’est que pour devancer et déjouer la stratégie de son ancien compagnon : « Je pense qu’il dans les journaux, du jour au lendemain, avec une brutalité impitoyable. Le risque étant que je sois présentée comme la femme abandonnée, celle qui va mal, la femme qui ne se remet de rien, qui est incapable de rester dans une relation équilibrée, de recevoir l’amour d’un homme, la femme qui ne sait que courir après l’amour impossible. »

Ici, la comédienne s’octroie donc l’égalité des armes. Elle défend la cause des femmes, et la sienne. Elle combat en faveur de leur image, et de la sienne. Elle démasque, au travers d’un homme, l’éternel figure masculine du pervers qui cherche à emprisonner l’amante répudiée dans le rôle de l’hystérique ou de la dépressive.

Cette guerre semble la ravir. Elle se sent, assure-t-elle, « comme une impératrice samouraï ». Son féminisme pare sa vengeance d’un mobile noble.

Plus sérieusement, l’annonce de cette rupture déplace singulièrement les lignes entre sphère privée et sphère publique. Autrefois pudique, soucieuse de discrétion, voilà Isabelle Adjani prolixe, saisie par le plaisir de la confession. La star avait innové depuis sa rencontre avec Jean-Michel Jarre, il y a deux ans, en communiquant sur son amour. Par cohérence et par intérêt, elle continue et refuse l’enclos de la vie privée préservé par la loi : « Je suis une personne publique, c’est à moi de prendre les devants pour expliquer les choses, c’est ma responsabilité. »

AMOUR TRANSMUÉ EN RÉCLAME

Une seule question : l’amour ainsi exposé est-il toujours de l’amour ? Ne devient-il pas prioritairement un message ? « On m’a souvent dit que notre couple donnait de l’espoir à un moment où tout le monde jouait perdant en amour, raconte elle-même Isabelle Adjani. Notre couple voulait dire : «L’amour ça existe». » A trop vouloir dire, cet amour-là ne s’est-il pas épuisé ?

Il s’est en tout cas partiellement transmué en réclame. C’est du moins la version qu’en donne aujourd’hui la comédienne, qui dévoile avec effroi la manière dont son amour aurait été manipulé à des fins publicitaires. « Cet homme ne s’est pas contenté de me tromper, accuse-t-elle. Il avait décidé qu’il fallait entretenir notre relation aux yeux du monde jusqu’à la fin de l’année, après la sortie de son disque et son concert en Chine, à la rentrée. » Et encore : «… Le lien qu’il avait noué avec moi ne tenait qu’à un fil – assurer la promotion de son image à travers les médias. »

D’une pureté autoproclamée à l’origine, cet amour serait ainsi passé à l’état d’objet utilitaire. Sa fin misérable révélerait l’usage de simple valeur d’échange des célébrités du show-biz dans les jeux amoureux. Un choc d’egos et d’images cherchant la meilleure plus-value, la capitalisation la plus rentable.

Il y a un an, le dénouement tragique de la liaison entre l’actrice Marie Trintignant et le chanteur-compositeur Bernard Cantat avait rendu perceptible l’intensité paroxystique d’une passion. Cette année, l’annonce de la rupture entre Isabelle Adjani et Jean-Michel Jarre signale davantage l’affrontement de deux narcissismes.

A cette aune-là, qu’est-ce qu’une « trahison » ? Voilà une vingtaine d’années, l’écrivain Hervé Guibert (1955-1991) avait raconté, dans un récit sur le sida qui le minait, quelques traits de la personnalité d’une comédienne de génie aimant s’affubler de lunettes noires. Son amie Isabelle Adjani. Il l’avait dénommée Marine et cette Marine semblait manifester une certaine perversité à son endroit.

Guibert, jeune écrivain et journaliste, avait rédigé un scénario conçu pour elle. Marine avait accepté le projet, l’assurant en tout de son soutien. Et puis Marine avait changé d’avis sans le dire, passant à autre chose. Et Hervé Guibert racontait de manière poignante la défection de cette amie : « J’étais dans mon lit, et tout à coup ce signe prémonitoire de la trahison de Marine m’enfonçait un pieu dans le ventre, et le lit tournait tout autour du pieu comme un carrousel méchant dont Marine actionnait la manivelle, pour mieux me torturer » (A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie).

Marine, à l’époque, n’avait pas encore éprouvé toute l’amertume de la trahison.

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