A 21 jours de l’AN 2000. Tollé pharaonique au Caire. L’opposition égyptienne fustige le show de Jean-Michel Jarre.
Le Caire de notre correspondant
Baptisé les Douze Rêves du Soleil, l’opéra électronique que doit diriger Jean-Michel Jarre pour le nouvel an, au pied des pyramides de Gizeh, menace de virer au cauchemar pour le ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni. Un symbole national confié à un artiste étranger, un budget de 9,5 millions de dollars, une fête occidentale arrosée d’alcool en plein mois sacré du ramadan… Les occasions étaient trop belles pour les opposants égyptiens de s’en prendre au gouvernement, en particulier à son ministre de la Culture. A tel point que Farouk Hosni a dû se déplacer en personne au Parlement, lundi, pour calmer la grogne qui commençait à gagner jusqu’aux rangs du PND, l’hégémonique Parti national démocratique du président Moubarak.
Pourtant, lorsque, en octobre 1998, Jean-Michel Jarre annonce au Caire son concert du millénaire, le gouvernement égyptien peut se vanter d’avoir réussi un bon coup. Avec la notoriété internationale de Jarre, après le succès des méga-shows du musicien français sur la Grande Muraille de Chine, les docks de Londres ou la place de la Concorde, l’Egypte est assurée de compter parmi les dix événements médiatiques du passage à l’an 2000. Les touristes vont affluer et l’image du pays, ternie par le massacre de 58 touristes à Louxor en 1997, va retrouver un peu de brillant.
Les détails du spectacle sont encore tenus secrets mais Jean-Michel Jarre a promis un show gigantesque aux 50 000 spectateurs attendus entre 22 h 30 et 5 h 30: mille artistes, depuis les interprètes classiques de l’Opéra du Caire jusqu’aux musiciens traditionnels égyptiens, en passant par des invités comme Laurie Anderson, Sharon Corr, Natacha Atlas, des projections laser sur les pyramides… Mais pour la presse d’opposition, rien à faire: c’est trop cher. “Plutôt que de verser des sommes colossales à un compositeur français, le ministère de la Culture aurait dû faire appel à des artistes égyptiens et économiser ainsi des millions de dollars”, a ainsi écrit le quotidien Al Wafd, organe du parti libéral, tandis qu’un député du PND se demandait tout haut si “l’argent des célébrations n’aurait pas dû être dépensé à améliorer les conditions de vie des Egyptiens”.
Sur ce terrain, Farouk Hosni n’a pas eu trop de mal à convaincre les parlementaires. “Cela s’est très bien passé, raconte-t-il. J’ai répété que beaucoup de pays dépensent bien davantage que nous. Le décor ne nous coûte rien, il est là depuis 4 000 ans! Les 7 500 billets les plus chers (2 500 F, les moins chers sont à 100 F, ndlr) ont été vendus. Et il ne faut pas oublier les droits télé. De toute façon, ce n’est pas une opération commerciale mais une vitrine pour l’Egypte.” Trois cents chaînes de soixante pays ont en effet payé pour diffuser en direct 20 minutes du spectacle. De son côté, Jean-Michel Jarre a adopté un profil bas pour mieux contrer lui aussi les critiques. “C’est avant tout un projet égyptien”, n’a-t-il cessé de répéter lors de ses conférences de presse, mettant en avant l’hommage qui sera rendu à la plus grande chanteuse égyptienne, Oum Kalsoum, dont le portrait sera projeté sur Khéops.
Il reste que les opposants au concert ne s’avouent pas vaincus et ont décidé de porter le fer sur un terrain autrement plus embarrassant pour le gouvernement égyptien: celui de la religion. “Nous n’avons rien contre la célébration de l’an 2000 mais elle a lieu dans un pays musulman pendant le ramadan. Ces gens vont venir de partout pour chanter, danser et boire de l’alcool. C’est inacceptable”, s’insurge Adel Hussein, secrétaire général du Parti du travail, de tendance islamiste. Dans un pays où la grande majorité de la population observe strictement le jeûne, l’argument porte, même si la législation en matière d’alcool n’a pas été modifiée pour le spectacle. La vente de boissons alcoolisées, interdite aux Egyptiens pendant le ramadan, a toujours été autorisée pour les étrangers.
“Mais le pire est ailleurs, poursuit Adel Hussein. Il y a ce capuchon en or dont on veut coiffer Khéops et qui symbolise la franc-maçonnerie et le sionisme.” Lancée par Al-Chaab, le bihebdomadaire du Parti du travail, l'”affaire du pyramidion” pourrait bien être fatale à ce qui devait être le clou du spectacle Jarre: la pose d’un pyramidion en or au sommet de Khéops, comme c’était le cas au temps du pharaon selon certains égyptologues. Le ministère de la Culture pourrait faire machine arrière. Non que cette énième version absurde de la théorie du complot judéo-maçonnique convainc grand monde au Caire, mais Farouk Hosni, sur le grill depuis un an, ne veut prendre aucun risque: “S’il arrivait quoi que ce soit à la pyramide, on ne me le pardonnerait jamais.”.
ANGEVIN Patrick