Rendez-vous Lyon
4 et 5 octobre, deux dates que les Lyonnais ne sont pas prets d’oublier ! En tête d’affiches, deux superstars: Jean-Paul, le Polonais du Vatican qui, le samedi, visite les lieux saints de la ville et le dimanche, bénit la population, et Jean-Michel, I’enfant du pays, qui conclue les festivités en apothéose. Si le « Pape Show » (titre de « Libe ») a déchainé les foules, que dire de celui de Jean-Michel Jarre ? Le dimanche soir, le Pape bénit les Lyonnais du haut des tours de Notre-Dame de Fourvière, sise sur la colline du même nom; en contre-bas, coincée entre le palais de justice et la Saone, la scène avec les musiciens, les techniciens et le matos – beaucoup de matos !! Deux projecteurs de poursuite éclairent la basilique durant la bénédiction- Dès que Jean-Paul a terminé, Jean-Michel prend le relais- Des faisceaux lumineux viennent se croiser dans le ciel au-dessus de la scène, toute la colline se couvre d’un épais nuage rouge et les premiers accords surgissent…
L’énorme foule – plusieurs centaines de milliers d’individus – se presse dans les rues pour être le plus près possible de la scène. Une barrière naturelle – la Saône – les empêche d’aller plus loin, les quais sont saturés ; policiers, secouristes, pompiers ont fort à faire pour contenir cette véritable marée humaine et évacuer les premiers blessés – les concerts à Bercy sont de petites réunions de famille comparés à Lyon – une passerelle enjambant la Saone est tellement surchargée qu’elle menace de s’écrouler. Quelques privilegiés – les habitants des immeubles du quai – peuvent assister au concert, confortablement assis sur leur balcon. Les autres sont contraints d’escalader les platanes, des échafaudages, les monuments et les quelques malheureuses voitures restées en stationnement (les assurances couvrent-elles les dégâts dus au passage de dizaines de fans sur le toit de ces véhicules ?). Un pourcentage minime de spectateurs a pu réellement voir la deuxième star de ce week-end officier sur scène avec sa harpe-Iaser; un film a été tourné pour satisfaire les trop nombreux malchanceux. Sur les quais, on entend relativement bien, mais dès que I’on s’éloigne, les sirènes des policiers couvrent les sons du Fairlight. Heureusement, la radio NRJ a eu la géniale idée de retransmettre en direct le concert; on pouvait alors prendre une bouffée d’«Oxygène» ou entre- voir un «Equinoxe» grâce aux autoradios des voitures bloquées dans les embouteillages, pour le moins inextricables. Pour profiter des effets speciaux concoctés par Jacques Rouveyrolis, il était inutile d’être proche des lieux. Du haut des immeubles de la banlieue, on pouvait admirer I’embrasement de la colline de Fourvière. Le thème du spectacle était la communication; des yeux, des globes terrestres, des personnalités (Walesa, le Pape…) étaient projetées sur les façades des maisons. Un petit Houston, en quelque sorte ! Ces projections d’images étaient accompagnées de faisceaux provenant de projecteurs de poursuite surpuissants, tournant sur eux-mêmes, de feux d’artifice et, bien entendu, de lasers. Le ciel lyonnais avait rarement été si beau. Ce spectacle, vous vous en doutez, a demandé des efforts considérables, pour ne pas dire colossaux. Son coût ? a peu près identique à celui de la visite du Pape : 10 millions de francs. Des marques et sociétés, telles que Philips, Carrefour, la Fnac, entre autres, ont pu en financer la moitié. Seize entreprises techniques (sono, lumières, lasers, informatique, …) – au total 230 personnes – ont travaillé pour ce show. La veille du concert, le Pape a vidé la ville ; le centre est quasiment désertique. Quelques badauds couverts de badges officiels – c’est obligatoire pour se déplacer – attendent près du Palais de Justice dans I’espoir de voir la star arriver pour les répétitions. Les roadies déchargent les derniers flight-cases sous une chaleur inhabituelle pour la saison ; un coup de Nostradamus ? Francis Rimbert affine quelques programmes sur ses synthés Roland, c’est grâce à lui que je peux accéder à la scène et y rencontrer les autres musiciens. Plusieurs d’entre eux faisaient déjà partie de la bande qui avait donné une petite boum à Houston… … Hormis Francis, Jean-Michel s’est adjoint les compétences de trois autres « claviers» : Sylvain Durand, Michel Geiss et Pascal Lebourg. A la rythmique, Joe Hammer (batteur) et Guy Delacroix (basse) ; Dino Lumbroso est venu rejoindre I’équipe avec ses percussions acoustiques. Les morceaux de Jean-Michel écrits à I’origine pour instruments electroniques seront interprétés également en plus des synthés par des sections de cordes (violons), de cuivres (trombones et sax), une chorale et la soliste, Christine Durand-Gautrot. Enfin, et avant de donner la parole aux musiciens, je tiens à remercier très vivement ce reportage n’aurait pu être réalisé sans leur concours – Loïc de Montaignac, Roland Delacroix de la société Musikengro, Francis Rimbert et bien sûr Jean-Michel Jarre.
SYLVAIN DURAND – CHRISTINE DURAND GAUTROT
Sono: «Sylvain, mises à part tes parties clavier, tu vas avoir un rôle un peu particulier lors du concert.
Sylvain Durand Oui, je dois diriger également plusieurs sections d’instruments acoustiques telles que les cuivres et les cordes. J’ai d’ailleurs écrit les arrangements des parties violons ainsi que ceux des choeurs. Demain soir, nous aurons sur scène 120 choristes.
Sono: La soliste de I’opéra doit être heureuse de retrouver ces sections acoustiques ?
Christine Durand-Gautrot : Je suis un peu plus dans mon élement ! Les synthétiseurs, c’est bien, mais trop… parfait. Pour moi, Lyon sera plus facile que Houston du fait de la place importante réservée aux instruments acoustiques.
Sono. Que t’as apporté ta collaboration avec Jean-Michel ?
C. D.-G. : Une approche musicale très différente. II a fallu remplacer les parties synthé-voix par ma voix. L’adaptation a demandé un travail spécial; il était hors de question que je chante des soli avec un timbre d’opéra !
Sono : Sylvain, sur quels claviers vas-tu jouer ?
S. D. : Principalement sur l’0B-8 branché sur un SDE-2500 Roland, mais aussi sur , un Emulator, le premier, un SH-101, les Seiko et Eminent, deux instruments que Jarre affectionne particulièrement pour certains morceaux.
DINO LUMBROSO
Sono. «A Houston, tu étais le programmateur des ordinateurs, tu es maintenant le percussionniste.
Dino Lumbroso : Et ce sera la première fois que Jean-Michel Jarre jouera avec un percussionniste entièrement acoustique Joe Hammer, le batteur, est lui, par contre, complètement électronique, ce qui donne un mélange contrastant. Travailler avec Jean-Michel Jarre m’a beaucoup apporté. Quand nous avons décidé de mettre des percussions acoustiques, j’ai relevé dans les morceaux toutes mes parties. Cela n’a pas été compliqué mais le jeu, lui, est plus -delicat : les percussions-synthé ont été : jouées à l’origine sur un clavier. Les changements de hauteur sont donc fréquents et rapides, ce qui est moins évident avec des timbales à pedales.
Sono. Qu’as-tu a ta disposition ?
D. L. : Quatre timbales, trois gros toms : et une grosse-caisse symphonique, des tubular-bells, des chimes, cymbales, bongos, gongs, tambours japonais
PASCAL LEBOURG
Pascal, musicien-clavier, a joué avec Jean Guidoni et dans le grand orchestre de Paul Mauriat Son équipement est composé d’un Prophet 5, d’un DX-7, d’un synthé Seiko DS202 – DS310, d’un Synthex Elka et d’un orgue Eminent.
Sono: Qui décide du choix des instruments ?
Pascal Lebourg : Jean-Michel est arrivé lors de la première répétition avec tous ses instruments et chaque musicien a choisi suivant ses préférences. Ensuite, on a défini qui fait quoi Jean-Michel connaît à fond ses morceaux et ne laisse absolument rien passer.
Sono : Les sons de DX ne sont pas vraiment mis en valeur dans les morceaux de Jean-Michel ; à quoi te sert le DX-7 ?
P L. : Pour doubler les cordes de l’Eminent afin d’obtenir un son très riche.
Sono: J’ai vu que Michel Geiss, qui se trouve près de Jean-Michel, utilisait, mis à part le EK 22 Elka et le MK1 Wersi, des “antiquités” telles que le ARP 2600 et un VCS-3. Tu possèdes également des instruments qui ont une décennie . Eminent, Prophet 5; pourquoi ?
P L. : Les premiers morceaux de Jean-Michel Jarre ont été enregistrés il y a une dizaine d’années, donc avec ces instruments dépassés techniquement mais, pour avoir les sonorités exactes il a fallu les conserver et nous les utilisons toujours.
Sono: Comment patches-tu tes claviers ?
P. L. : J’utilise un clavier portable conçu par Cavagnolo, le Midy 3M. Avec son clavier-accordéon, il me permet de réaliser des choses très fortes techniquement parlant mais sinon, je n’abuse pas de l’interface MIDI, j’ai deux mains et je peux donc utiliser deux claviers à la fois … La communication, le thème du show, était aussi illustrée sur scène. Les monitors-video, qui intriguaient beaucoup les spectateurs, donnaient de précieux renseignements aux musiciens. A partir de cinq IBM-PC, Loic de Montaignac envoyait la partition du passage à jouer, sur le monitor de chaque musicien. Les dix morceaux du concert (110 fichiers) ont été rentrés dans les PC par I’intermediaire du logiciel Personal Composer, polysequenceur 32 pistes. 115 ne sont pas utilisés comme séquenceurs – les musiciens pouvaient alors rester chez eux – mais afin de visualiser les notes et accords. Loic envoie manuellement chaque page à chaque musicien. Un timing automatique est possible mais demande trop de moyens. La programmation des 10 morceaux a demandé un mois de travail à Loic, Dino, et Marc Jackson.
FRANCIS RIMBERT
Sono: «Peux-tu détailler les instruments que tu utilises ?
Francis Rimbert L ‘Axis, tu peux t’en douter, me permet de faire des parties de chorus sur l’avant-scène : il pilote les autre synthés par le MIDI. En fait, j’ai deux groupes très différents : les vieilles reliques et les derniers Roland. Avec le Poly 2000 Korg, c’est carrément le retour aux sources, ce fut mon premier synthé polyphonique – mais ii est obligatoire pour « Equinoxe » tout comme l’Eminent et le Memory Moog. A partir de deux MKS-80 Roland, je recrée les ambiances de type AKS, tous les petits bruits. Tu remarqueras que j’ai le programmateur juste au-dessus car avec Jean-Michel, il arrive fréquemment que l’on modifie les sonorités au dernier moment: sans le MPG-80, ce serait beaucoup trop long: appeler les paramètres, les éditer un à un… Quant au Super JX, je l’utilise pour toutes les nappes d’accords, les effets de choeurs et les cordes : je n’ai vraiment pas trouvé autre chose de mieux. Bien qu’il n’y ait pas de piano dans les compos de Jean-Michel, j’emploie le MKS-20 et plus précisement la preset “clavinet” que je booste un maximum pour renforcer les basses. L’ingénieur du son à parfois de vieilles frayeurs lorsque j’utilise en direct les SRV-2000 et SDE-3000 ! Chaque musicien-clavier branche ses instruments sur une console et fait son propre mixage avec ses effets en “five” Les gars de la sono ne pourraient pas s’en sortir si tous les claviers étaient raccordés directement sur la table générale. On envoie donc une ligne mono déjà mixée.
Sono: Tu n’utilises pas de samplers ?
P. L. : Jean-Michel a le Fairlight et l’Emulator II En plus, je lui ai programmé plusieurs sons sur le S-10 Roland qu’il commande d’une façon plutôt originale, c’est-à-dire avec le Rhythm stick Dynacord. II peut avoir 4 sonorités réparties sur le clavier, des sons un peu fous, des bruits bizarres échantillonnés avec le Fairlight. Avec le Stick, I’effet est très sympa. II y a une dernière chose que je voudrais te signaler et qui risque de t’étonner, c’est que tout, je dis bien tout, la musique et la lumière, est commandé par la synchro du SBX-80, une machine méconnue mais géniale. Pour les mix, les ingénieurs du son se fient au time-code du SBX qui est visualisé sur la console. Jean-Michel et Francis Dreyfus, son producteur, ont été tellement emballés par les prouesses de ce matériel qu’ils ont décidé que Roland soit la seule marque à ne pas avoir son logo dissimulé pendant le tournage du film ! Reportage de Patrick Debut