Coolook

Coolook

Coup de bol, il était partant pour un blind-fold-test.

Moi ça m’arrangeait salement. Tartiner huit feuillets sur “Zoolook” (Et pourquoi pas Zoulook, cher Jean Michel ? Ou Papook”), soupeser la trajectoire du seul Français qui s’exporte vraiment (“Combien de millions d’albums, cher Jean Michel ? 15 ? 25 ? Plus !”), causer synthés, causer de Madame pour accrocher le cinéphile en cavale, caresser le gagnant dans le sens de la victoire, je le sentais pas. Non, vraiment. Et puis, ici, c’est “Rock & Folk” ! pas “Consoles & Manettes”. J’ai pas raison ?

Si. D’où l’idée d’un blindfold.

Aujourd’hui démodé, le blinfold-test (littéralement “test de l’aveugle”, “test des yeux bandés”), sous-catégorie du genre interview-rock, fit fureur dans les Années Soixante-dix de Mick Jagger à Bernard Lavilliers, de Brian Ferry à Brad Gardfield (leader de Cherry Pink And The Rough Blossom), tous y sont passés – avec des bonheurs divers. Le but du jeu est simple : le blindfoldé écoute une enfilade d’extraits musicaux (le plus souvent des chansons) et doit, à chaque fois en reconnaître l’auteur et, si possible, le titre. S’il ne reconnaissait pas, il doit au moins réagir sur ce qu’il vient d’entendre. Simple, frais, rigolo.

A partir de là on peut corser à volonté sa sélection selon celui à qui on a affaire. Face, au blindfoldé idéal, possesseur des qualités cardinales (1- une bonne oreille, 2- une grande culture, 3- une solide mémoire), on n’hésite pas, on met la gomme. On passe en revue les faces B de ses singles et on lui souhaite bonne chance. Sinon, on module – on vise plus la réaction du patient que son hypothétique infaillibilité. Bref, on reste humain.

Avec Jarre j’ai modulé. J’étais tranquille pour l’oreille, presque certain pour la culture (l’homme a un passé chargé), mais la mémoire je n’en savais rien. Alors, histoire de ne pas me retrouver avec des “Heu…”, des “c’est qui, ça ?” et autres “… ?” à tout bout de bande, j’ai dosé : des faciles, des raides, des évidents, quelques pièges, trois ou quatre clins d’oeil, le tout dans le désordre, sans perche thématique et dans le respect le plus absolu des règles – on écoute, ensuite, seulement, on réagit.

Kraftwerk “The Model”

– Kraftwerk ! Les titres, je te préviens tout de suite, je ne m’en souviens jamais… Eux, depuis un moment, ils ne font pas grand-chose, non ? Leur musique, le côté répétitif, ça ne me branche pas forcément, pas systématiquement, mais j’aime leur look, leur concept.

Heaven 17 “Let me go”

– Je ne connais que ça, c’est rageant ! J’aime beaucoup en plus…

– C’était Heaven 17…

– Oui ! Quand le disque est sorti je l’écoutais énormément, il avait la couleur des années 80. Il y a chez eux une recherche sonore, un rapport vocaux/synthés que j’admire.

Alain Vega “Wipeout Beat”

– J’ai entendu, mais je ne connais pas.

– Vega.

– Vega ? J’aime quelques trucs. Le plan rocker crucifié, pas tellement. En fait, ce qui me plaît le plus chez lui, à la limite, c’est son producteur, Ric Ocasek. Très fort.

Devo. “Come On”

– C’est Devo, mais je les préférais quand ils étaient plus gonzo encore, plus anarchiques. Là, ils se sont calmés, ça manque de ruptures, d’oppositions, c’est trop conventionnel. C’est un groupe qui n’a d’intérêt que vraiment jeté.

David Bowie “Heroes”

– Bowie, c’est sûr mais le titre…

– “Heroes”, de l’album du même nom. Avec Eno.

– Oui, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, la période avec Eno n’est pas mon Bowie favori. Pour moi ce n’est pas un chercheur, c’est un homme de spectacle. Le laboratoire, ça me gonfle, ce n’est pas mon truc, mon album préféré c’est “Alladin Sane”. “Let’s Dance” aussi. Et le dernier, contrairement à beaucoup de gens. Non, Bowie, c’est un showman avant tout.

Michael Jackson “Billie Jean”

– C’est Michel, le fils de Jack, difficiele de passer à côté. Pour moi, c’est beaucoup plus que de la grande variété américaine. D’abord, il sait tout faire, ensuite, quoi qu’on en dise, sa part dans le succès de “Thriller” est bien plus importante que celle de Quincy Jones. On a tort de le présenter comme quelqu’un de propret, de clean, car si le disque a autant marché c’est justement à cause de son côté sale, dirty, un aspect que Prince a développé après, en réaction aux produits US trop parfaits, trop léchés. Prends la voix, les mélodies, les gimmicks, le son de la batterie, paradoxalement c’est très pourri. A la limite il ne faut pas l’écouter sur une chaîne très poussée mais sur un truc miteux, plus le son est petit et pourri, mieux il sort. Le walkman, la radio, il a tout compris, d’où son succès.

Robert Mitchum “I lear a merengue mama”

– C’est grand, ça ! J’adore Mais c’est introuvable, je suppose ?

– Robert Mitchum, son seul disque vraiment connu.

– Mitchum ! Je pensais à un truc rital, genre Marino Marini, calypso revu et corrigé. Que ce soit Mitchum, pour l’anecdote, ou un autre, tout ça appartient à une époque naïve, ce mélange entre culture rock et culture latine qui a donné des gens comme Celentano, dommage qu’ils ne soient pas plus connus. Celentano, c’est fabuleux. Il est au rock ce que Leone est au western américain, c’est le même rapport.

Elvis Presley “Good Rockin’ tonight”

– Bon, c’est Elvis, à mon avis une chose que l’on entend plus suffisamment. On en a fait un gros tas de graisse débile qui était en train de crever, mais pour moi, il reste celui qui a tout déclenché. Les médias, surtout en France, ont systématiquement exploité son image du déclin, alors qu c’est une star, la star-rcok. S’il pesait cent cinquante kilos à la fin de sa vie ce n’est pas uniquement parce que c’était un crétin analphabète, non, il a été la victime du star-system à l’américaine, qui prend un individu qui a un talent complet dans un domaine donné et la presse comme un citron. Elvis c’est Marylin. Quand il ne pouvait plus bouger, Elvis était encore un tout jeune mec. Quand je l’écoute j’ai toujours ça en tête…

James Brown “It’s a man’s, man’s, man’s world”

– Otis Redding… ? Non… c’est l’autre. C’est drôle, ça ressemble à du Percy Sledge.

– James Brown.

– Avec un slow… Le piège, okay ! Non, musicalement je réagis plus par couches, par impressions, je n’ai pas du tout une attitude d’encyclopédiste. A cette époque je jouais dans des groupes et j’étais beaucoup plus branché par les Anglais; les Américains venaient après, ils étaient moins proches. Il y a chez eux un aspect très pro qui est à la fois séduisant et aussi, un peu chiant : le costume qu’il faut, la voix qu’il faut. James Brown, on a presque envie qu’il se plante en dansant. Le côté technicolor, Rock Hudson de la musique américaine, le côté inébranlable, irréversible et en même temps fabuleux, c’est comme le coca-cola. Tout ça a donné des caricatures de perfection, genre Eagles. C’est comme la cocaïne : parfait et faux au même instant. Avec une telle hypertrophie dans la perfection, comment évoluer ? Il y a peu d’artistes US qui après avoir trouvé leur style ont ensuite évolué.

Eric Carmen “All by myself”

C’est Eric Carmen… “All by myself”. Ce truc me rapelle surtout la Californie, vers 76, on n’entendait que ça à la radio. A l’époque j’enregistrais là-bas avec Patrick Juvet. On avait un jeune guitariste noir avec nous, pn a fait deux albums ensemble : il s’appelait Ray Parker. “Ghostbuster” !

Nik Kershaw “Wouldn’ it be good”

– Je ne vois pas. Et je n’aime pas.

– Nik Kershaw.

– Quand la voix rentre ça va, mais l’intro est rallonge. Trop répétitif, avec la voix qui arrive pile toutes les seize mesures.

Frankie goes to Hollywood “Relax”

– C’est Frankie, c’est bien fait. Que ce soit un vrai ou faux groupe, je m’en fous. Il se passe pour le disque ce qui se passé pour le cinéma. Avant, tu allais voir James Dean ou Bogart, même si les metteurs en scène étaient célèbres, maintenant tu vas voir le dernier Coppola ou le dernier Woody Allen, et tu achètes un disque de Quincy Jones ou de Trevor Horn, chanté par quelqu’un d’autre. L’avancée des recherches au niveau du son sépare de plus en plus l’artiste du produit final, entre les deux il faut un producteur. LEs premiers albums des Stones ou des Beatles, à la limite, ce que tu entends c’est ce qui partait dans le micro, la production était minime. Aujourd’hui, les artistes ne s’intéressent pas assez au son et à la technologie, c’est très dangereux. Ceci dit, j’aime bien Frankie, sauf que leur histoire de double album sent un peu trop le coup de show-biz. A vouloir battre le record du double blanc des Beatles, avec un premier album, en capitalisant sur le succès des singles, ils se sont ramassés. Ici, on ne le sait peut-être pas mais, avec leurs pré-commandes mégalo, en Angleterre ils ne savent plus où mettre les retours.

Eurythmics “Love is a stranger”

– Non, je sèche.

– Annie Lennox et Dave Stewart.

– Eurytmics ! Oh non, pourtant j’adore Annie Lennox ! Elle, j’aurais dû la reconnaître. Pour moi, c’est un des plus grand groupes anglais. Remarque, ce morceau, je connais pas, mais ça me rappelle des trucs que je faisais dans les années 70 avec des VCS 3, on sent la production faite dans une cuisine, comme encore sur “Sweet Dreams. Non, elle, j’ai craqué sur tout : le personnage, la fille, le look, l’artiste, la voix. Tout ! Annie Lennox c’est bien plus que Boy George, pas uniquement un phénomène visuel, c’est une grande.

Brian Eno “Drift”

On dirait Popol Vuh, ça va sans doute partir ailleurs mais ça ressemble à un disque de Popol Vuh qui n’est jamais sorti en France… Non ?

– Non. C’est Brian Eno.

– Oui, c’est le soundtrack du film sur la mission Appolo ! Déjà, à lépoque, j’avais cru que c’était Popol Vuh ! Oui, bon, Eno est quelqu’un que j’aime énormément et “Life in the bush of ghosts”, sans conteste, un de mes disques préférés. Seulement, paradoxalement, le Brian Eno planant ne me branche pas du tout. “Music for films”, “Music for airports”, le côté Phil Glass répétitif, ça m’ennuie profondément. Moi, ce qui me plaît, c’est la musique sans batterie. Aujourd’hui, 90 % des musiques disponibles sont basés dessus. Alors, ne serait-ce que pour changer, j’écoute avec plaisir tout ce qui est sans batterie. L’idée d'”Oxygène” c’était ça aussi, casser l’exclusivité de la rythmique. Ce qui ne veut pas dire, même si on nous associe souvent, que j’étais attiré par des gens comme comme Klaus Schulze ou le Brian Eno planant, tout ce trip baba cool. On m’a associé à ça parce que je faisais de la musique avec des synthés, de longues plages, en ayant une audience plus grande que tous ces groupes allemands, mais je ne me sens pas partie prenante, aucunement, dans ce mouvement-là. Je ne fais pas partie du club !

Vangelis “Titles”

– C’est “Les chariots de feu”, je vois l’angle. Oui, mais Vangelis et Eno, c’est deux planètes différentes. Avec moi, trois. Vangelis c’est avant tout un homme de musiques de films, c’est du collage, de l’illustration sonore. C’est intéressant, sans plus. J’aime bien, oui, mais je n’ai pas d’affinités particulières avec Vangelis.

– Pas de projet de musique de film ?

– C’est un domaine où, dans la famille, on a déjà donné, d’une. De deux, c’est très frustrant. J’en ai fait quelques-unes mais qui n’ont pas eu de succès : le premier film de Peter William, avant “L’année de tous les dangers” (ndlr : En fait il s’agit du premier film de Peter Weir : Gallipoli, avec Mel Gibson). “La maladie de Hambourg” avec Peter Fleshman. Seulement, dans ce genre de boulot, tu peux travailler un an dessus et retrouver ta musique mixée avec des bruits de bagnoles et de rues. J’aime pas. On me propose plein de trucs, oui, mais je les refuse.

Beatles “Love me do”

– Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus sur eux ! Si, une chose : j’aime beaucoup Paul et il va avoir énormément de mal à se sortir de l’image de martyr que l’on colle à John, image qui aurait tendance à faire oublier un peu vite qu’ils étaient quatre…

Julian Lenon “Well I don’t know”

– Je ne vois pas. La voix, tu dis ? C’est le fils ? Quand j’étais en studio j’ai entendu deux titres de lui, j’ai bien aimé. Tu vois, la décalque ne me gêne pas parce que, derrière, il y a du talent.

Rolling Sones “Wild horses”

– C’est la voix de Mick, avant tout, qu’elle soit des Années Soixante ou des Années Quatre-vingts…

Prince “Let’s pretend we’re married”

– Encore un groupe anglais à synthés…

– Américain, c’est Prince.

– Prince ! Hey, je rigole pas, je ne connais pas ce titre, mais c’est très influencé par les trucs anglais des dernières années. Comme quoi il a bien fait de changer vite de style.

Lloyd Cole “Forest fire”

– J’aime moyennement, c’est qui ?

– Lloyd Cole, la nouvelle coqueluche anglaise.

– Connais pas. Il y a un faux air de Bowie, un faux air de Lou Reed, ça ressemble à des milliards de chose. Trop de mélanges.

Bruce Springsteen “Downbound train”

– C’est nettement plus ancien, ça. Non ?

– Pas faux, puisque c’est springsteen je suis passé à côté. Je connais le truc, remarque : la bête américaine, quatre heures sur scène, ke John Wayne du rock’n’roll, des chansons superbes, mais ça ne fait pas partie de ce que j’écoute en premier. Peut-être un jour. J’aime mieux ses rocks, ses ballades ont un côté Dylan que je n’aime pas. Dylan, de toute façon, m’a toujours fait chier, son grain de voix m’exaspère. C’est comme Godard, Dylan, c’est bien que ça existe mais c’est pas forcément bon à avaler.

Ben E. King “Stand by me”

– C’est qui ? C’est vieux ? On dirait le “Preghero” de Celentano.

– Version originale de 1961, “Stand by me” par Ben E. King.

– Tu sais, à l’époque je m’intéressais surtout au jazz américain. C’est plus un truc pour Paringaux, ça !

Jean-Luc Ponty “Open mind”

– On dirait Jean-Luc Ponty. Oui ? J’aime beaucoup Ponty, j’aime son trajet. Pas de doute que, chacun de notre côté, nos carrières ont évolué de manière analogue. Ce titre me plaît bien, je vais acheter le disque.

Jacno “Rectangle”

– C’est Jacno, ça ? J’attendais bien plus de lui. Je pensais que comme producteur il aurait bien plus d’envergure que ce qu’il a montré.

Johnny Hallyday “Retiens la nuit”

– C’est mon voisin ! C’est un type important, un mec bien. Il a mis au point une forme de rock’n’roll qui lui appartient : le rock péplum. Comme Celentano. En France, c’est le seul, à part Gainsbourg, qui dans un autre genre ne ressemble à personne, il n’y a pas un seul Français au même niveau que Johnny. Sinon, le rock dit “français” ne m’intéresse pas, l’expression n’a pas de sens, même en prenant les meilleurs comme Téléphone. On sent trop la copie anglaise ou américaine et on trouve toujours la correspondance qui est cent fois mieux. C’est Robert de Niro avec l’accent marseillais, une Edith Piaf malagache ou un Jacques Brel d’Afrique du Nord. Le rock français aura toujours un côté Poulidor qui fera hurler de rire le premier Anglais venu. En plus c’est un vrai ghetto ! Sauf Johnny, mais lui est toujours resté naïf face au truc.

Alain Bashung “C’est comme qu’on freine”

– Bashung, je n’ai rien à en dire.

Taï Phong “Sister Jane”

– C’est Taï Phong, l’ancien groupe de Goldman, je connais. En plus, c’est drôle, un de mes premiers groupes s’appelait les Dustbins, on habitait Chatillon sous Bagneux et l’autre groupe du bled, les concurrents, c’était les deux Vietnamiens de Taï Phong. Ils étaient spécialisés dans les reprises des Shadows ! Goldman, je crois, est arrivé plus tard. Tout ça fait que j’ai une tendresse particulière pour “Sister Jane”, même si ça reste du rock “à la française”.

Christophe “Les mots bleus”

– Oui, bon, les paroles sont de moi, “Les mots bleus”, “Les paradis perdus”, tout ça est de moi”. Et j’en suis encore très fier. Je crois qu’avec Christophe, à l’époque, on a démarré un truc important : les concepts-albims, le rapport chanteur/producteur, des nouveaux sons, un type de variété-rock qui jusqu’à une période récente était resté sans équivalent. On a été des pionniers. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Malgré ses erreurs, Christophe est une personnalité de premier plan. Un peu en marge du rock, c’est un grand chanteur de rock.

John Barry “James Bond theme”

– J’adore ça ! Définitivement ! C’est le thème de James Bond, non ? John Barry ? Pour moi ce type a autant de talent, pour prendre un exemple parlant, que le second mari de Jane Birkin.

Bilan : excellente oreille, culture potable, mais mémoire de seconde main – risque de trou. A surveiller.

– Philippe Leblond

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