Obéir à ses pulsions
En dix ans, Jean-Michel Jarre est devenu le musicien français le plus exportable, le plus vendu et le plus connu. Esthète d’un éclectisme rafraîchissant, il est parvenu à ce qu’il recherchait depuis longtemps : la création d’une autre musique, perçue comme typiquement française, de Pékin à New York Chez nous, il sera le grand orchestrateur du bicentenaire de la Révolution française. Une consécration nationale…
“obéir à ses pulsions “
Je suis issu, musicalement, de courants divers. Piano, contrepoint, harmonie et fugue contre rock and roll. Mais pourquoi contre ? « Avec » me parait plus tonique. Je ne me posais pas la question, passant spontanément du classique à la variété, avec des enthousiasmes d’enfant… Gamin, j’ai bien connu le grand club de jazz de Paris « Le chat qui pêche ».II était I’oeuvre d’une grande amie de ma mère. Tout le monde passait là : John Coltrane, Don. Cherry, Chet Baker, etc. Je les écoutais répéter. Pour mes dix ans, Cherry et Baker on joué pour me fêter, tandis que je trônais, assis sur le piano. Un peu plus tard, je me suis exercé avec des groupes dont la renommée n’a jamais dépassé le quartier, avant d’entrer dans le Groupe des Recherches Musicales de Pierre Schaeffer, à I’ORTF, où j’ai découvert les synthétiseurs et les bandes d’oscillateurs… J’apprenais dans chacun de ces genres. Paradoxalement, la seule véritable influence qui n’ait jamais existé fut celle de mon père Maurice Jarre, le musicien, qui représentait une réalité lointaine dans ma vie d’enfant de parents divorcés. Avec Etienne Roda Gil, chez Pathé, nous volions des heures de studio pour trafiquer des musiques expérimentales. C’était ma période culottes courtes. Elles ont un peu rallongé, mes culottes, quand j’ai eu la chance de recevoir une commande de ballet pour la réouverture de I’opéra avec le pIafond de Chagall. Ce fut la première fois qu’une création entièrement électronique entrait à I’opéra. Quelques dents ont grincé, mais ce fut une expérience marquante, qui m’a donné le désir de me diversifier. Musiques de films, de télévision, théâtre, ballets mais aussi production de chanteurs comme Christophe ou Patrick Juvet; je me suis lancé dans une multitude de directions. La collaboration avec Patrick Juvet et des rencontres californiennes – Herbie Hancock, Ray Parker… – m’ont appris à visualiser la musique. La cristallisation de tous ces éléments fut «Oxygène» ; une fusion limpide, fluide et illimitée. Je l’ai composé dans un minuscule studio, et tout le monde l’a refusé. II n’y avait pas de chanteur, pas de texte, pas de morceaux à découper pour les radios! Un petit producteur, Michel Dreyfus, m’a fait confiance. « Oxygène » a fait un malheur, international. En Angleterre, il était numéro un, suivi de huit chansons d’Elvis qui venait de mourir… Ce succès m’a permis d’aller plus loin, d’inventer les shows qui s’allient avec ma musique. Mon instant le plus précieux de musicien est celui où, sortant du moment abstrait de la page blanche qui devient pleine, je constate que ce que j’écris est perçu comme français, et différent à la fois…
Mes conseils
II n’y a pas de règIe, ou encore la seule est de n’en suivre aucune, d’obéir II ses pulsions, de parcourir son propre trajet, en amalgamant ses qualités et ses défauts, en survivant à ses erreurs. Travail, détermination, un zeste d’inconscience, une bonne dose de folie, et puis à voir cette formidable mégalomanie d’oser! Ce sont finalement des éléments irrationnels, en marge de Ia société qui compose les artistes.