Jean-Michel Jarre : the essential
NOM: Jarre Prénom : Jean-Michel Nationalité : Français Signes distinctifs : A vendu 30.000.000 de disques dons le monde, a joué en concert devant 1.500.000 Américains à Houston, a orchestré le son et lumière de l’année à Lyon, en présence du pape Jean-Paul II.
1948
Naissance de Jean-Michel JARRE, le 24 Août à Lyon, dans une famille de musiciens. Cinq ans après, il est assis devant un piano et fait des gammes : c’est le début de ses études musicales qu ‘il poursuivra tout au long de sa scolarité, notamment en apprenant l’art du contrepoint, de la fugue et de l’harmonie, sous la direction de Jeannine RUEFF, du Conservatoire de Paris. Cette formation classique se révélera très utile au futur compositeur d’Oxygène et de rendez-vous, elle explique l’orchestration souvent très symphonique de sa musique. Mais pour le moment Jean-Michel Jarre joue de la guitare électrique dans des groupes de rock et fréquente les clubs de jazz. II trouve aussi le temps de poursuivre des études littéraires.
1968
A Paris, c’est la révolution étudiante. Partout en Europe, on cherche à dépasser les formes artistiques traditionnelles. J.M. J. entre au G.R.M. (Groupes de Recherches musicales} et découvre les techniques de la musique électroacoustique sous la direction de Pierre SCHAEFFER. II manipule les premiers générateurs et oscillateurs électroniques qui sont au synthétiseur ce que la montgolfière est à la fusée. Et surtout, il apprend les techniques du travail sur bandes, de la musique concrète, des collages. Il découvre en fait une nouvelle dimension de la musique: l’univers des sons. Après un stage de trois ans au G.R.M., il se détourne de la recherche et de l’expérimentation pures pour constituer son propre studio. II a déjà enregistré un disque, la Cage, en 1969, une musique électroacoustique très difficile. Pathé-Marconi diffuse ce LP et devant l’insuccès commercial (700 exemplaires vendus !), détruit le stock… Jean-Michel n’en possède même pas un exemplaire !
1971
Depuis trois ans, JARRE réalise tous les bruitages électroniques du groupe Triangle. Mais en 1971, il réussit à faire entrer la musique électroacoustique à l’Opéra de Paris, en réalisant la bande-son du ballet AOR, qui sera diffusée à la radio.
1972
Second disque : Deserted Palace, toujours très expérimental. On peut se faire une idée de la musique de Jarre durant cette époque avec la bande son du film Les granges brûlées, qu’il réalise la même année. De 1972 à 1975, c’est d’ailleurs une période de travail intensif : le jeune compositeur est très demandé et enregistre pour des spots publicitaires, des ballets, la télévision.
1976
Jean-Michel JARRE propose aux maisons de disques la maquette de son nouvel album, Oxygène. Toutes refusent: ce n’est pas assez commercial, cela ne peut pas passer à la radio, etc… Seul Francis Dreyfus se laisse convaincre. II a bien raison car Oxygène sera un succès populaire sans précédent dans I’histoire discographique française et occupe la première place des hit-parades du monde entier. II passe brusquement de I’underground au star-system. II fait découvrir à un très large public cette musique électronique et planante, que des Allemands comme Klaus Schulze et Tangerine Dream ont contribué à créer, mais qui demeurait jusqu’à présent d’une audience limitée. Oxygène partage avec la kosmiche musik le même goût pour les plages polyphoniques éthérées, les rythmiques électroniques, les sons spatiaux, mais se distingue de ce courant par une dimension mélodique nouvelle, rendant cette musique accessible et populaire (essayez de fredonner Zeit de Tangerine Dream ou Mirage de Schulze !). L ‘utilisation des synthétiseurs est elle-même très originale : le son du VCS 3, sur Oxygène, est très différent de I’utilisation (très belle, elle aussi) qu’en fait Tangerine Dream sur Rubycon. Le son de Jarre est net et propre, là où les Allemands développent des atmosphères beaucoup plus brumeuses, noyées dans les réverbérations et les échos.
1978
Equinoxe confirme le succès d’Oxygène. Ce disque montre une maîtrise nouvelle dans l’utilisation des séquences et des rythmiques. Equinoxe part 5 et 6 offrent une démonstration éblouissante de virtuosité dans la programmation des séquenceurs analogiques (ARP) et digitaux (Oberheim), sans oublier le Matrisequenceur 250. La musique de JARRE repose sur un subtil équilibre entre l’expérimentation et les mélodies populaires, et peut satisfaire un immense public, au-delà du cercle des amateurs de musique électronique.
1979
Le 14 Juillet, Jean-Michel JARRE donne son premier concert, Place de la Concorde à Paris, devant un million de spectateurs. Le spectacle est retransmis en Eurovision dans 23 pays. Il veut sortir du modèle traditionnel du «concert», statique et peu visuel, surtout lorsqu’on joue sur des synthétiseurs. Il conçoit un spectacle total, mettant en jeu la pyrotechnique, les lasers, les projections et les éclairages. Houston et Lyon ne sont que les aboutissements de cette démarche, et sans doute des étages vers des spectacles futurs encore plus grandioses. La musique électronique flotte ce soir là dans Paris, et malgré la foule de problèmes techniques, les choix discutables de la TV qui a retransmis des passages de répétition par peur d’un problème technique, ce concert de la Concorde reste un événement mémorable.
1981
Troisième album: Les chants magnétiques. La dernière rumba fait le succès commercial du LP, alors que sa valeur véritable réside dans l’extraordinaire composition de la face I, avec des séquences d’une complexité incroyable (MDB Polysequenceur pilotant des modulaires RSF) et un environnement vertigineux de sons et de bruitages électroniques. Il utilise pour la première fois le Fairlight (il est, avec Peter GABRIEL,le premier Européen à posséder cet instrument). Cet album rompt avec les atmosphères éthérées des premiers disques, il est bourré d’énergie électrique et offre une musique contemporaine pleine de feeling et de swing. Les négociations menées par Francis Dreyfus Music et les contacts personnels pris par Jean-Michel aboutissent enfin : le gouvernement Chinois donne l’autorisation pour une série de concerts à Pékin et à Shanghai. II réussit là où Pink Floyd, Police ou Supertramp ont échoué. Le 15 Octobre, une équipe de 60 personnes, musiciens et techniciens, prend place dans I’avion Paris-Pékin. Dans les soutes, 15 tonnes de matériel. Les Concerts de Chine sont mis en scène par Mark Fischer (concepteur du spectacle du Pink Floyd, The Wall) : une installation scénique gigantesque, un des lasers-shows les plus sophistiqués du temps, et la performance technique, diplomatique et humaine de réussir cinq concerts, qui enthousiasment 150.000 Chinois, mais touchent aussi 30.000.000 de téléspectateurs et 500.000.000 d’auditeurs à la radio! L ‘album live qui immortalise cette tournée restitue bien l’atmosphère des concerts, l’énergie des musiciens (Jarre est accompagné d’un véritable groupe), le délire du public. Aux succès classiques s’ajoutent des compositions nouvelles, comme Arpegiateur ou Jonques de pécheurs au crépuscule, exécutées avec 34 musiciens chinois jouant sur des instruments acoustiques traditionnels.
1983
Jean-Michel vend aux enchères Musique pour supermarchés, un disque pressé à un seul exemplaire, dont la matrice est détruite devant huissier. Ce geste spectaculaire et provocateur doit aider de jeunes artistes, peintres et sculpteurs. Avant la vente, le disque a été diffuse sur une radio périphérique : l’occasion de se rendre compte que JARRE prenait une nouvelle orientation sur le plan musical.
1984
En novembre, Zoolook est dans les bacs des disquaires. Son public est un peu déconcerté : d’abord par la pochette du disque, puis par la musique, inhabituelle, expérimentale. Zoolook est le fruit de 18 mois de voyage et d’enregistrements. C’est un opéra électronique pour voix échantillonnées et retraitées par le Fairlight. Des syllabes, des sons gutturaux, des mots incompréhensibles, de toutes les langues : telle est la matière première travaillée pour créer des séquences, des bruitages, des esquisses mélodiques très surprenantes. Cette musique de recherche suscite l’enthousiasme du public habituel de la musique électronique. Klaus SCHULZE lui-même déclarait avoir été très impressionné par Zoolook ! Des morceaux très rythmés, s’inspirant du smurf et d’autres streetdances, pouvaient néanmoins assurer le succès commercial de l’album. JARRE est accompagné par des musiciens qui comptent parmi les plus innovatifs de la scène internationale : Laurie ANDERSON et ses surprenantes vocalisations, Adrian BELEW et sa guitare, Marcus MILLER et sa basse, Yogi HORTON et ses drums.
1986
Le 5 Avril à 20H15, Houston voit s’embraser le centre viIle de Downtown. Un front d’un kilomètre de gratte-ciel est iIIuminé par les projecteurs de DCA, les feux d’artifices, les projections. Jean-Michel JARRE célèbre les 150 ans de Houston et du Texas, les 25 ans de la NASA dans I’un des concerts les plus spectaculaires de I’histoire de la musique. Simultanément, I’album Rendez-vous offre la bande son de ce show: une musique encore surprenante, un son électronique très brut, une dimension néoclassique et symphonique, repoussée par I’intervention des choeurs de Radio France. Et toujours ce savant dosage de mélodies accrocheuses et populaires et d’expérimentations d’avant-garde… Rendez-vous, un album qui constitue un nouveau point de départ….
2001
C’est le 90è numéro de Musique vidéo Systèmes. Le Praesidium des pays fédérés de la planète Terre a demandé à Jean-Michel JARRE de concevoir un spectacle pour son cinquième anniversaire. Jarre donne son concert en direct depuis la station orbitale de CaIliopé III. Le concert est retransmis en holopbonie sur le réseau des télévisions hologrammatiques. JARRE joue sur les nouveaux parathétiseurs à génération polymoléculaire. II est entouré de programmants synchronisés sur la rotation des astres du système solaire. II est accompagné par les choeurs psychédéliques des Arcturiens : ceux-ci se trouvent dans un studio séparé, en raison de l’atmosphère soufrée nécessaire à leur survie, mais on reconnaît bien leurs cliquettements caractéristiques. La musique est envoyée par un satellite spécial vers les anneaux de Saturne avant d’être répercutée sur la Terre: cela donne au son une réverbération particulière et permet des effets de delay d’une durée originale. Jean-Michel JARRE a vendu 900 millions de pilules de sa dernière musique. Ben oui, des pilules! Vous savez, on les avale, et on entend directement Ia musique dans la tête, en psychophonie. Ah c’est beau, le progrès.
Christian Jacob
Les instruments
Music VIDEO SYSTEMES: Ce qui fait ton originalité, c’est d’abord I’utilisation d’instruments peu connus, comme le Synthex on les Eminents.
JEAN-MICHEL JARRE : C’est marrant de voir combien même dans l’électronique, les gens manquent d’imagination… Finalement, il y a le DX7, alors tout le monde prend le DX7… Je serai presque tenté de faire l’inverse systématiquement ! Le DX7 fait très bien les percussions, à cause du système FM. Mais dès qu’il faut des sons plus gros, avec plus de grave et de tenue, pour les cordes, les cuivres et les choeurs, ce n’est pas génial. . Je ne suis pas convaincu par les instruments FM tels qu’ils se présentent actuellement : c’est un délire pour faire des sons ! Ce n’est pas la même chose avec d’autres techniques, pas seulement analogiques mais aussi digitales : je préfère cent fois des techniques style «synthèse additive», ou on peut modifier le son presque instantanément, sans se prendre la tête pendant une heure pour changer un paramètre qui va lui-même changer… Pour l’Eminent, il y a des instruments qui n’ont pas les faveurs des professionnels : c’est bien dommage pour eux, mais moi, je suis bien content: c’est très bien d’avoir des choses que les autres n ‘utilisent pas! J’ai des Eminent qui sont complètement trafiqués, des Eminent dont je me sers simplement pour passer à l’intérieur et utiliser le système de ces trois chorus: je m’en sers non pour faire des sons d’Eminent, mais pour faire autre chose… Cela m’intéresserait de sortir tout le système de modulation, phasing et chorus et le mettre dans une boite.
MVS : Et le Synthex ?
JMJ : J’ai découvert le prototype quand je travaillais sur Equinoxe : c’était bien avant les OBX et autres : avoir un synthé polyphonique avec séquenceur, à I’époque, c’était complètement fou ! L ‘ltalien qui le fabriquait a mis peut-être quatre ou cinq ans pour trouver un distributeur. Je m ‘en sers énormément maintenant, car il a un son très particulier qui, pour moi, est meilleur que I’OBX ou le Prophet. J’apprécie dans le Synthex le mode double et le chorus. Le mode double, c’est doubler le même son sur lui-même, cela donne une richesse beaucoup plus ample au son et au timbre. J’ai fait modifier le chorus intérieur, pour supprimer des intermodulations dans le suraigu, créant des sous-harmoniques très gênantes dans le spectre audible. J’ai donc fait des sorties séparées et j ‘ai mis des limiteurs, genre DBX à l’entrée, pour arriver à avoir un niveau constant. En même temps, j’utilise des amplis Elka, les diffuseurs Elka sont très bons pour les synthés. Si tu dis cela à n ‘importe quel vendeur de synthé, il te rira au nez, carrément ! Pour moi, le Synthex est I’un des meilleurs synthés analogiques qui aient été faits. Le Prophet 5 a un intérêt pour les sons de cuivre, etc. L ‘OBX a aussi un son intéressant, mais le Synthex est beaucoup mieux. Les ltaliens sont très doués pour le son, mais ils n’ont pas de crédibilité, c’est bizarre… Pourtant, ils ont aussi fait les premières chambres d’échos à rubans…
MVS : Sur Zoolook, tu as travaillé le sampling ?
JMJ : J’avais envie, depuis que j ‘étais au G.R.M, de travailler avec des sons de voix, selon la technique de la musique électroacoustique. En fait, le sampling a été inventé par Schaeffer : à cette époque, tu enregistrais des sons sur un magnéto, tu les montais à I’endroit, à l’envers, tu les trafiquais, c’est le système de l’échantillonnage analogique, en fait. Avec le Fairlight, je voulais donc faire un album vocal, non pas en utilisant la musique ethnique par collage, comme Eno ou Peter Gabriel, mais en prenant des sons et en les détournant de leur contexte, en les mélangeant entre eux, aussi bien du norvégien, de l’africain, etc. Cela m’a donné beaucoup de mal car, dès que tu t’attaques à la voix humaine, c’est comme si tu déformais un visage, tu crées beaucoup plus facilement des monstres que des choses intéressantes. ..
MVS : Sur Rendez-vous, tu as abandonné cette technique…
JMJ : Oui, j’ai voulu prendre mes distances par rapport au sampling, mélanger les sons digitaux avec ceux des vieux instruments. J’ai travaillé avec le Moog, avec le Seiko 250 et 320. L ‘intérêt du Seiko 250 est sa facilité d ‘accès. A la base, il y a un clavier presets bidon et dessus, un module pour faire des sons. Tu as le choix entre 4 ADSR et 4 formes d’enveloppes. Chaque composante de I’ ADSR a une forme indépendante sur laquelle tu peux sélectionner les harmoniques que tu veux. Tu mets un spectre harmonique dans I’ attaque, séparé de ce que tu peux mettre dans le Delay, etc. Avec un instrument de 4 000/5 000 francs, tu fais des sons de Fairlight ou de Synclavier ! Le seul truc, c’est que cela souffle un peu quand on passe par le chorus, mais on peut quand même s’en sortir. A Houston, j’avais quatre Seiko et quatre Synthex sur scène. . . D’autres instruments qui vont avoir un énorme succès, c’est le ESQl d’Ensoniq, mais aussi I’ensemble de percussion de Dynacord pour transformer des sons de percussions… J’ai vu un prototype intéressant. . .
Qu’est-ce que tu penses de I’ordinateur comme aide pour la programmation des sons, avec notammenl la possibilité de visualisation des paramètres ?
JMJ : L ‘EMU, avec I’interface Mac Intosh a apporté beaucoup ; il permet d’avoir un Fairlighl avec un moindre budget. Mais souvent, les interfaces et les programmes sur écran ne sont pas très clairs… Le problème aussi est qu’ils ont chacun leurs standards. . . C’esl un retour au Moyen-Age… Par goût, je suis contre I’ordinaleur central dans le studio. Le côté Big Brother dans un Studio, je m’en méfie toujours. A force de vouloir gagner du temps, on en perd… D’ailleurs, il faut perdre du temps : c’esl le fait d’aller d’un inslrument à un autre qui va te permettre d’avoir un autre angle sur ton Iravail. Moi, je cherche au maximum à me faire piéger par la technique plulôt qu’arriver à la suumettre. Pour la scène comme rour le studio, je suis de plus en pIus partisan du mélange, du côté bric-à-brac : mélange du vieux el du neuf, de vieilles percussion~ acoustiques… J’essaie de mettre mon Studio en digital pour I’enregistrement, mais aussi d’uliliser de plus en plus des préamplis à lampes, ce qui parait paradoxal. . .
MVS : Et Ie système MIDI ?
JMJ : Je me méfie toujours de ce qui est présenté comme un concept permettant de tout résoudre dans la vie. Le MIDI est un système de liaison qui a ses défauts, mais aussi des qualités énormes. Pour moi, cela n’a pas été une grande révolution. J’ai du être un des premiers à travailler avec un système de synchro qui se rapporchait du MIDI. Dès fin 79-80, j ‘avais trafiqué le Fairlight pour Ie synchroniser avec le séquenceur que j’avais à 1’époque, pouvoir synchroniser aussi d’autres instrumenls, etc. Le Synthex et l’Eminenl, maintenant, sont MIDI. Je me sers beaucoup d’une interface 16 x 16, qui est un peu comme la matrice 4 x 4 de S CO. C’est un patching MIDI électronique, qui mémorise les patches. J ‘aime bien ne pas avoir un seul clavier maître, d’ou l’intérêt de cette matrice. Quand je travaille sur un instrumenl, je ne veux pas avoir un seul clavier et les synthés dans une armoire. Si tu agis sur un filtre à distance, de toute façon, ce n’est pas la même chose.
MVS : Es-tu interessé par la conception de nouveaux instruments ?
JMJ : Je serais très heureux de Iravailler avec des fabricanls de synthés en France, II y a plein de choses à faire, notamment une ligne de synthés différents, au niveau du grand public, des enfants… Le plus difficile, ce n’est pas la conception, mais la fabrication et la distribution. J’ai aussi le projet de développer de plus en plus les instruments visuels, comme Ie grand clavier, la harpe, des instruments de visualisalion du sampling, d’autres instruments avec des fibres optiques, comme une grande cithare triangulaire sur laquelle on travaille actuellement. Le gros problème avec Ies snthés est de faire passer visueIIement ce que tu joues et ce que tu entends, et c’est très diffilcile, surtout dans des cas comme ZooIook ! Mais je crois avoir un peu résolu Ie problème… C’était déjà à Lyon, mais on ne Ie voyait pas. Je voudrais, pour la prochaine fois, par clavier, percussion ou contact, pouvoir interprêter complètement des sons échantillonnés au niveau de la durée et de la hauteur. Exactement comme un choriste. L’idée, est d’avoir des choristes électroniques sur scène ! On appelle cela des «robots» entre nous, mais je ne voulais surtout pas d’un look style Star Wars. Alors, c’est entre Ie haut-parleur et l’humanoïde. II y en a deux pour l’instant, de 2m IO de haut. A la place de la tête, ils ont un gros haut parleur et devan, il y a un micro Shure, comme pour un choriste. Quand tu tapes, tu déclenches Ie son de voix échantillonné, et tu as un modulateur d’amplitude pour la lumière, ce qui fait une lumière sur la «bouche» du haut-parleur pour visualiser l’enveloppe du son. Tu peux ainsi interprêter réellement un sampling ! Le fait que tu repiques avec un micro te donne un côté live pour un son électronique. Tu ne l’entres pas en direct mais tu Ie piques exactement comme un son de voix naturelle.
La musique .. de Zoolook à Rendez-Vous
MVS : Depuis Zoolook, tu es entouré sur scène comme en studio, par d’autres musiciens. Comment se passe cette collaboration ?
JMJ : Pour Zoolook, j ‘avais un Concert précis en tête. Les musiciens se sont intégrés en apportant ce qu’ils avaient à apporter artistiquement. Avcc Laurie Anderson, c’était un peu différent. Mon idée de départ était de Iui faire chanter une chanson d’une autre planète, avec des mots, mais incompréhensibles. Cela l’a beaucoup intéressée. Elle revenait alors du Japon et on a travaillé ensemble sur des racines de mots japonais et différentes autres choses qui pourraient se mêler. Je lui ai aussi demandé de chanter très haut, beaucoup plus haut qu’elle ne Ie fait d’habitude. Elle était un reu étonnée au départ mais, finalement très contente ! Marcus Milller, Iui, était sidéré par Ies sons de basse qu’on avail avec I’EMU I, il disait qu’il n’arriverait jamais à faire un son pareil avec sa basse. II a apporté son jeu et son style très particulier . On a «resamplé» après coup avec Frédérik Rousseau certains sons de basse qu’on a rejoués… Avec Adrian Belew, c’était plus libre, de toute façon, avec Iui, tu n’as pas Ie choix, cela ne pouvait être que plus libre !
Pour les parties de choeur, et de cuivre, tout est écrit et ce sont donc des séances de studio traditionnelles.
MVS : Sur ton dernier album, Rendez-vous, on a le sentiment que tu as voulu revenir à un son électronique très brut, avec un minimum d’effets,
JMJ : Oui, c’est vrai. Zoolook a été un enfer technique pour le mixage, etc. Je voulais retrouver quelques chose de brut au niveau des synthés et revenir à l’anaIogique. II y a des synthés analogiques qui sont irremplaçables. Un Moog 55, un Arp 2600, rien ne peu les remplalcer. . . Je ne suis pas pIus content de Zoolook que de Rendez-vous. J’ai I’impression à chaque fois de faire un brouillon pour la fois prochaine… C’est d’ailleurs cela qui est bien, car si on était complètemcnt satisfait, on s’arrêterait ! Pour Rendez-vous, j’aurai eu plus de temps, cela aurait été mieux. Je voulais avoir des sons de synthés non traités, sans écho, sans delay, avoir la matière brute. Je l’ai fait en fonction des concerts. II y a par exemple des morceaux de Rendez-vous que j ‘ai changés pour la scène, ainsi Rendez-vous II, très important scèniquement, que je peux améliorer et transformer. II ya un morceau fait en fonction de la harpe laser. II fallait trouver le son, car la harpe-Iaser est une interface entre un synthé et toi, il fallait trouver un son correspondant à ce que l’on voit…
MVS : Comptes-tu retravailler avec Laurie Anderson ?
JMJ : Je voudrais bien ! On devait faire quelques chose sur scène… Je I’aime beaucoup, elle a un trajet intéressant, aussi bien visuel que sonore… Zoolook est certainement un album qui a moins bien marché que Ies précédents, mais c’est quelque chose qui, pour moi, a vraiment compté. ..II y a la des choses que je veux continuer. Rendez-vous a Ie charme et les défauts de ce qui a été fait très vite. Mais il se manipule très bien sur scène. Zoolook sur scène, il faut vraiment s’accrocher pour Ie faire ! Je voudrais essayer, dans mon prochain album, de mélanger l’acoustique, Ie digital, l’analogique. C’est compliqué au niveau de la prise de son.
Houston, Lyon… et après ?
MVS : Tu as eu des problèmes de son à Lyon…
JMJ : II y a une parlie de la sono qui a été coupée par le public voilà pourquoi on n’entendait rien à cerlains endroits. La foule était tellement dense que personne n’a pu aller récupérer le truc. Je n’étais pas très content du mixage, je préférais celui qu’on avait fait à la répétition. II y a avait, au concert, une balance trop importante de l’acoustique par rapport à I’électronique. II y a eu aussi des problèmes d’échos. On a tout enregistré sur un Sony 3324, en digital, et c’est étonnant. A Houston, c’était un enregistrement analogique. Je vais sortir un disque live Lyon-Houston. Le disque et la cassette feront 40 ou 42 minutes. Je voudrais faire un CD d’une heure : d’ou l’importance de l’enregistrement digital. . .
MVS : Tu as rajouté beaucoup de choeurs à Lyon ?
JMJ : Des choeurs, des cuivres (trombones, cors…), des cordes. Pour Chants Magnétiques, ce que l’on a sur la bande est super. . . C’est dix fois ce qu’il y avait dans la sono ! Il y avait aussi toutes les percussions acoustiques, des tambours japonais, des timbales, des tubular bells, des chimes, des gongs. Outre les choeurs, il y avait aussi Christine Durand, qui doublait les voix synthétiques, dans Equinoxe et Zoolook, avec sa voix de soprano. Le mélange des deux est surprenant ! Avec tous ces problèmes; cela a été miraculeux (sans jeu de mots par rapport au Pape) d’arriver à faire le concert de Lyon… Tout s’est fait en un mois, c’était de la démence ! Globalement, je suis satisfait de Lyon. Pour le feu d’artifice qui devait être synchronisé, on a eu d’énormes problèmes de télécommunications, qu’il faudra régler pour l’avenir. Cela a finalement moins bien fonctionné qu’à Houston, alors que là-bas, c’était plus compliqué, les distances étaient plus grandes. Mais j’ai préfère le concept visuel de Lyon…
MVS : On sent que tu cherches un nouveau concept de spectacle où, à la limite, on pourrait voir la musique et entendre les images.
JMJ : Tu as raison, pour un spectacle, on peut de moins en moins séparer l’image et la musique. Depuis les années 50, la façon de montrer la musique sur scène est toujours la même ! Je m ‘intéresse aux techniques permettant de visualiser la musique que tu fais… Un spectacle musical doit être total ou alors je reste chez moi avec le CD. . . Le fait que ce soit live et non-reproductible est aussi important. Si tu n’es pas là, tu l’as raté, point final. Le film est un regard. sur l’événement. La dynamique du spectacle vient de ce que ton oeil perçoit tout en même temps et fait I’opération nécessaire pour percevoir des echelles différentes. Avec la caméra, tu donnes la dynamique en changeant de focale et de plan, c’est un concept tout à fait différent.
MVS : Ne faudrait-il pas aussi songer à d’autres modes de sonorisation pour ce type de concerts ? La quadriphonie, par exempie ?
JMJ : Dehors, meme en mono, tu as un son extra. Pour moi, la multiplication des sources mono est ce qu’il y a de mieux. C’était largement le cas à Houston. A Lyon, j’avais demandé que tout le monde vienne avec sa radio: c’était de la sono de poche ! Cela aurait donné un relief incroyable. Cela s’est mieux passé à Houston, car les Américains sont plus coopératifs. Un Français, tu lui demandes de faire quelque chose, sa première réaction, c’est de ne pas le faire !
MVS : Queles soot pour toi les différences essentieles entre Lyon et Houston ?
JMJ : Cela n ‘avait rien a voir. La présence du Pape, déjà, décalait tout. II y avait quelques chose de beaucoup plus intérieur à Lyon, c’était la fête comme à Houston, mais avec une dimension supplémentaire. . . Et la voix du Pape qui arrive du haut, c’était dément cela !
MVS : Queles ont été les réactions du Pape ?
JMJ: II m’a fait dire qu’il me recevrait bien volontiers à Rome dans les jorrs qui suivaient et qu’il a beaucoup aimé le spectacle, qu’il en avait pris plein la…, enfin c’était une expression familière comme cela, assez marrante… Parce que d’en haut, c’était un peu Verdun quand même ! A l’intérieur de I’énorme car de Channel 80, les techniciens, à la fin, ont été légèrement soulevés ! lIs étaient au pied de la colline, alors, au sommet, on a dû décoller !
MVS : Quels sont tes projets actuels ?
JMJ : On termine le montage du film de Lyon, qui devrait passer si tout va bien fin décembre ou début janvier sur TF I. II ya le livre à paraitre chez Orban, qui parle très largement des concerts, des méthodes de travail avec beaucoup de photos inédites. Et puis, il ya le mixage de ce disque live, que I’on va faire dans la foulée, en même temps que le mixage du film, et puis après, le nouvel album, que je voudrais commencer vers fin janvier : comme il va prendre du temps, je préfère I’attaquer assez vite. Le live, lui, sortira en février. Pour les prochains concerts, il y a des projets au Japon, à Londres, à Berlin, cela pour les deux ans qui viennent, en Afrique aussi et en Australie, où le projet est déjà assez avance pour 1988. A Berlin l’idée serait de faire le concert des deux côtés du mur … Ce qui importe surtout, c’est que le lieu soit interessant visuellement. Si je refais quelque chose en France, je voudrais que ce soit à Paris… Une derniere chose enfin : dans un an, le groupe Polygram-Philips va sortir les trois premiers CDl, compacts disques interactifs, image, et son : le prochain film de Coppola, un concert de Karajan et le concert de Houston… Pour I’image, on a un très bon master et on fera un mixage digital spécialement pour I’occasion… Propos recueillis par Christian Jacob et Alaio Mangenot.
Nous voici enfin à Lyon. . . Quelques heures d’autoroute, un tunnel de Fourvière traversé sans problèmes et en début d’apres-midi, nous roulons le long de la Saone. Déploiement impressionnant de forces de police: une véritable haie d’honneur de part et d’autre, mais je ne suis pas sûr que ce soit pour accueillir I’envoyé special de Music video Systèmes. Ah… voilà les premieres tours de projecteurs, des camions, des techniciens qui s’affairent, ah, voila la scène… My god (oh, pardon…), la scène ! Une architecture tubulaire à étages. . . 6 mètres de haut, 21 m de long, 32 de large ! Des montagnes de haut-parleurs… 250 m2 de baffles… 40 tonnes de sono! On traverse la Saone, on trouve une place de parking par miracle, nous voici acoudés au parapet, face à la scène, au pied de Fourvière. La vision est grandiose. Nous sommes aux premières loges, mais il est difficile de distinguer les instruments sur la scène. Des silhouettes s’affairent. . . L ‘amoncellement de matériel est franchement monstrueux… On règIe la sono, on fait les essais avec la batterie et la basse, un rythme funky s’esquisse, bonjour I’écho, le son rebondit sur le quai de la Saone, puis repart sur Fourvière… La foule est déjà au rendez-vous. . . II est quatre heures de I’après-midi. .. Plus de cinq heures à attendre, debout, au soleil… Extraordinaire, cette impression d’attente : l’atmosphère se charge d’électricité, on sait qu’un événement est imminent. . . que I’on va vivre une soirée magique… Dans l’ensemble de la ville, sur la colline, les 200 techniciens s’affairent, procèdent aux derniers reglages. Depuis la régie centrale, sur le pont Saint-Jean, face à la scène, les chefs-opérateurs envoient leurs instructions par talkies-walkies. Tout est en place, les 3 500 projecieurs qui vont illuminer les façades de Fourvière, les 12 projecteurs d ‘images géantes, les 22 projecteurs de poursuite, les 8 sky-trackers qui vont balayer le ciel de Lyon, les 6 projecteurs de DCA qui, en 1942, servaient à reperer les avions et dégagent chacun une puissance de 70 000 W. Les trois lasers sont déjà sous tension, les artificiers vérifient les 40000 bombes qui vont embraser la ville dans une deflagration pacifique. Le soir tombe, nous allons nous restaurer rapidement. La foule remonte les rues et les artères vers le fleuve : c’est impressionnant… Des milliers et des milliers de personnes de tous âges… La ville se vide… Nous plongeons à notre tour dans cette marée humaine, dense, mouvante. Sur place et coude à coude, c’est la fraternisation dans I’attente et I’inconfort, dans la bonne humeur ou les ronchonnades. Les bruits les plus fous circulent… Je glisse à ma voisine : «II parait qu’ils vont faire décoller Notre-Dame de Fourvière !» Elle ouvre de grands yeux et me dit : «Non… c’est vrai ?» A côté de moi, un petit homme a les yeux vissés dans son périscope bleu-blanc-rouge (un souvenir de 14 juillet). II parle tout haut dans une bouteille vide: «Ici Radio Lyon, de notre envoye spécial sur les quais de la Saone… On attend toujours le Pape… Il ya beaucoup de monde…»
L ‘attente se fait pesante. . . On attend en effet le Pape, bloqué dans les embouteillages. . . Le concert doit commencer juste après la bénédiction. La scène est noyée de lumières, Notre-Dame se détache, illuminée au sommet de la colline. Une heure de retard. . .
Enfin, une voix couvre le tumulte de la foule… et s’impose dans le silence et l’émotion… Un message chaleureux et humaniste de Jean-Paul II, la bénédiction à la foule immense, les cloches qui sonnent, puis tout s’éteint… Les premiers sky-trackers s’allument, un grondement émerge de la sono et une voix indéfinissable qui annonce Ethnicotor, l’ouverture de Zoolook… C’est une ovatlon gigantesque qui s’élève, montant de la viIle entière et donnant la mesure de la foule réunie sur des kilomètres. . . La cathédrale s’embrase de rouge et ruisselle de fumigènes qui descendent lentement la colline, c’est une véritable éruption volcanique. C’est l’ouverture d’un show d’une heure et -demie. J’en ai le souffle coupé… Malgré la visibilité restreinte, la sono pas assez forte (une partie a été, semble-t-il, accidentellement déconnectée), c’est un spectacle grandiose. Apres Zoolook, c’est Equinoxe Part 5 et Oxygène, avec le déclenchement des feux d’artifice : parmi les plus beaux que j’ai vus. . . ils soulignent la musique et créent de véritables paysages aériens, des jardins merveilleux et multicolores. Les jeux de lumières sont stupéfiants : des faisceaux balaient le ciel (ils sont visibles à 40 km à la ronde). Si le conert de Houston avait exploité au maximum le gigatisme des buildings et du cadre urbain, le concert de Lyon joue davantage sur les nuances de l’architecture ancienne. Le spectacle s’étend en fait sur une longueur de 2,5 km et s’étage sur 600 mètres de haut. Les lumières et les projections d’images fixens mettent en valeur une façade, la forme d’un toit, une perspective, véritable travail de peinture lumineuse qui recrée les architectures de la colline de Fourvière. L’essentiel du concert est constitué par Rendez-Vous, Jean-Michel Jarre est accompagné par deux chorales réunissant près de 150 personnes, des musiciens de l’Opéra de Lyon. II est entouré par quatre synthésistes, deux percusionnistes et un joueur de saxophone. Cette musique très symphonique prend une dimension nouvelle dans cet environnement visuel, musique de synthèse mêlant les instruments acoustiques et la lutherie électronique. Rendez-vous IV, le «tube» du dernier album, déclenche la joie du public dont les applaudissements couvrent la sono ! On fredonne la mélodie et on marque le rythme du pied plus qu’on n’entend véritablement la musique ! Les artificiers déclenchent un bouquet final vraiment époustouflant tandis que les musiciens reprennent Rendez-vous II et III. La fête se termine dans un déluge de lumières et de fumigènes. Alors, bien sûr, les esprits chagrins pourront regretter les défaillances de la sono, les heures de «pied de grue» et les courbatures qui s’ensuivent, la visibilité très relative de la scène, il n’en reste pas moins que Jean-Michel Jarre et son équipe ont réinventé le concept de «fête populaire et gratuite» et anticipent sur ce que pourront être les concerts du XXIe siècle, où le son et l’image fusionnent dans un «spectacle total», ou le nec plus ultra de la technologie est mis au service du feeling et de l’émotion.
Christian Jacob
On se dirait volontiers qu’il est agaçant, à force d’avoir tous les dons, mais on ne peut qu’être séduit par I’art et la manière qu’il a d’accommoder… Très japonais, ça. Comme ses fringues qu’il achète presque exclusivement chez Kenzo et chez Yamamoto. «- Je m’habille généralement moi-même. Encore qu’avec Charlotte, nous partageons les mêmes goûts pour les Japonais. Depuis longtemps. J’aime bien ce que font certains Français mais je trouve qu’il sont souvent moins consistants. Je marche beaucoup au coup de coeur, pour la ville comme pour la scène. J’aime bien déglinguer les choses. Je détesterais m’habiller «total look» de de la cravate aux chaussettes en passant par le gilet. J’ai la passion , des mélanges… Chez les Japonais, c’est à la fois complètement moderne et éternel. Indémodable et confortable, décontracté et, en , même temps, strict et habillé. Je ne quitte pas ce genre de vêtements, pour bosser comme pour sortir. »
LE PAPE EN 1ère PARTIE DE SON SPECTACLE
Homme de son siècle, Jean-Michel Jarre est, avant tout, un homme organisé même si depuis un an et demi il joue plutôt les hommes pressés, voire débordés. L’enregistrement de son album (celui qui est numéro un I des ventes en ce moment, «malheureusement, s’il faut être classé au Top 50 ou au Top 20 pour faire bien, ce n’est pas forcément un critère de qualité » commente-t-il, pas mécontent tout de même…). Le concert titanesque de Houston – Texas – celui, non moins gigantesque de Lyon (« C’est très valorisant dit-il en riant, d’avoir le Pape en première partie d’un spectacle»), le montage des deux films qui allaient avec les concerts, un livre, des enregistrements «live»… «- Je n’ai pas dormi depuis des mois, mais c’est un choix. D’autant que je tiens à consacrer le temps qui me reste à ma vie très privée. Charlotte, lorsque je suis en période de travail intense comme ça, est très présente auprès de moi et ne tourne pas. Quant aux enfants, ils sont venus à Houston et à Lyon. Et puis, comme nous avons répété les spectacles à la maison et qu’elle était transformée en véritable salle de jeux (dans tous les sens du terme), ils étaient plutôt ravis. Je tiens à assumer ma famille. Peut-être pas de la même façon que les gens qui ont un emploi du temps régulier mais, si, dès le départ, on habitue ses enfants à un rythme différent, tout se passe bien. Je ne veux pas les tenir à I’écart de mon travail. Ca donnerait ce qu’on voit trop dans les familles d’artistes… Je crois qu’il est essentiel de les insérer dans notre vie. II me semble plus important de faire ainsi que de leur consacrer cinq minutes et trois cadeaux et de les confier le reste du temps à une nurse! » II a encore des paillettes dans les yeux, Jean-Michel, lorsqu’il parte de ce dernier concert de Lyon. Parce que, créer en un mois, de toutes pièces, un spectacle pour saluer la venue d’un souverain pontife, ce n’est déjà pas rien. Mais, faire cela, en plus, dans sa ville natale, ça ne peut que laisser des marques. «- Je suis parti très jeune de Lyon d’où est issue toute ma famille, mais pour moi, pendant des années, la vraie ville c’était Lyon où je passais toutes mes vacances. Le reste du temps j’habitais Vanves, Issy-Ies-Moulineaux… On connaît mal cette ville et les Français I’aiment peu, en dehors de la bouffe et de Guignol.
Parce que c ‘ est une vile qui ne se Iivre pas, toute en ombres et lumières. Les lumières, ii y a des traditions d’illuminations: la Vierge a sauvé la ville et depuis, tous les 8 décembre, la cite s’illumine de partout… Ville d’ombre car ville des francs-maçons, de I’occultisme… C’est un passé et un passif formidable pour faire un spectacle ! Je n’oublierai jamais cette scène ultra moderne installée au pied du Palais de Justice avec ses colonnes doriques, les façades Renaissance autour, les églises romaines…le métissage de tous les genres. Exactement, ce que j’ai envie de faire dans mon travail. Mon idée ce n’est jamais de pratiquer le gigantisme pour le gigantisme mais de détourner un espace de sa fonction initiale, le temps d’une soirée. Ca ne m’intéresse pas de faire en extérieur un concert prévu pour une salle comme Bercy, histoire de faire du fric. J’aime faire des spectacles à I’échelle du lieu et me servir d’une technologie de pointe pour faire passer des émotions, des idées à un public plus large. En mélangeant des techniques vieiIles comme le monde (feux d’artifice…) avec des projections de lasers synchronisées à ma musique… Mêler le vieux et le neuf, des tambours japonais (encore!) du Xllle siècle et des synthétiseurs, des choeurs, des trombones et des cordes avec des monitors vidéo… J’aime déglinguer, comme dans la mode. Prendre un orchestre symphonique ou rock et le lier à la vidéo. Mettre une cantatrice sur scène avec un ordinateur. II y a quelques années, on a beaucoup prédit que notre ère serait à la Orwell, Big Brother, robotisée à mort. C’est faux. C’est I’inverse qui s’est produit. On a dit la même chose quand j’ai sorti « Oxygène», premier disque «synthétique». Tout ce qui touchait à l’électronique faisait peur. Tout ce qui est nouveau fait peur, en général. Aujourd’hui, on se rend compte que I’électronique est entrée dans la vie quotidienne et qu’on peut avoir un Minitel chez soi et continuer, malgré tout, à faire du vélo! L’an 2000, ce sera ça: le marché aux Puces ( dans tous les sens du terme là aussi). Reste qu’il est entré dans le livre Guiness des records pour son million cinq cent mille spectateurs à Houston et que le Pape a tellement aimé la première demi- -heure de son spectacle qu’au grand dam de son service d’ordre, il a abandonné ses fans (12300 bonnes soeurs à la cornette en folie » ) pour revenir voir la fin du show. «- II y a toujours eu une vieille connivence entre la religion et la musique. Les artistes, quels qu’ils soient, sont toujours très près de la spiritualité, parce que très sensibles… Même s’ils n’ en ont pas toujours conscience. J’avais en vie de rencontrer cet homme dont les médias ont fait une super star. Pas par foi forcenée mais parce qu’il est le premier homme de communication de notre ère. Il a compris qu’il faut utiliser le satellite et la télévision, les moyens d’aujourd’hui, s’il veut continuer à exister en tant que tel. D’ailleurs, il a en projet d’installer le satellite au Vatican… Il y a a un côté B.D.. mais c’est normal en fait.»
Qu’est-ce qui fait courir Jean-Michel Jarre? L’argent? II dit que, si son album n’était pas numéro un des ventes, jamais le concert de Houston n’aurait été remboursé et qu’il remet tout sur la table à chaque fois en parfait joueur de poker. La gloire? « Je me fous de battre mon propre record demain en Afrique, au Japon ou en Australie ou on m’a demandé de venir faire d’autres concerts. Ce qui m’excite, c’est le côté éphémère des choses. Se dire qu’on a travaillé six mois pour une seule soirée. Comme au cirque. Comme à I’opéra. On n’a droit qu’à un seul contre-ut, il ne s’agit pas de se planter. Mais cette urgence-là donne un tel esprit de commando que c’est extraordinaire… Une fusion d’énergie qu’on ne trouve nulle part ailleurs…» Moralité: il est le seul Français qui soit réellement connu et vendu dans le monde entier… et pas par trois disques dans chaque ville! Façon de concevoir sa carrière. Et puis, il n’est pas chanteur, le problème de la langue ne se pose pas pour lui. Mais, il ne croit pas que le problème soit là. Se poser la question de savoir si on doit sous-titrer les clips anglo-saxons pour montrer aux Français comme leurs textes sont débiles, me semble quelque chose d’halIucinant! Notre seul problème, c’est que les Américains ne se posent pas la même question à notre sujet. Nos chansons sont débiles? Comment le sauraient-ils? Elles ne passent nulle part… On ne les intéresse pas. Nous ne sommes pas assez originaux pour les troubler.
Vaste débat. Jean-Michel, lui, préfère s’attacher à ce livre que Jean-Louis Remilleux vient d’écrire, portrait de lui et reportage sur ses concerts, de la place de la Concorde à la Chine en passant par Houston et bien sûr Lyon. S’attacher aussi au film de Lyon que TF1 diffuse. « Rendre compte d’un spectacle qui s’est passé sur 4 kilomètres sur un écran TV qui fait 60 cm! Pas question de faire un clip de 52 minutes, ni même un reportage. II faut réenvisager les paramètres complètement.» Des heures plus tard, on y serait encore. A l’écouter parler pas pontifier. A l’entendre expliquer, disséquer, détailler… Bel oiseau de haut vol !