La Nouvelle revue du son

La Nouvelle revue du son

«Un jour j’ai éprouvé le besoin de faire du son qui dépassait le simple violon» Jean-Michel Jarre a réinventé son propre code pour créer cette nouvelle musique qui explore l’autre côté de de l’horizon, les yeux rivés sur I’espace et un univers de mutants. Si Jean-Michel Jarre n ‘existait pas il faudrait l’inventer tant il respire à plein poumons “L ‘Oxygène ” du temps. Le voyage est sans borne, cosmique, et complètemenl orienté vers le XXJeme siècle tout proche.

Ses racines ? une mère musicienne, un père compositeur – Maurice Jarre – qui a toujours vécu aux Etats-Unis, et dont, dit-il, «il n’a subi l’influence qu’au niveau des chromosomes. » . Son univers extra musical : les yeux verts de Charlotte Rampling, une vie familiale isolée au bout d’un chemin de terre, au milieu d’un jardin romantique, face à la Seine visible par delà la haie de lauriers. Une réalité toute proche émaillée de rires d ‘enfants qui courent dans le jardin, sur le perron, le regardent à travers la porte-fenêtre et que l’on retrouve souvent dans ses propos, car les enfants sont le futur en gestation, comme celui vers lequel il tend musicalement. Cet amoureux éperdu de sons dont l’itinéraire est passe par la classe d’harmonie du Conservatoire, le groupe de Recherche musicale sous l’égide de Pierre Schaeffer et une thèse sur les musiques extra-européennes, a choisi la démarche individuelle et solitaire dans son propre studio laboratoire, peupIe de synthétiseurs, ces «instruments impressionnistes», sur lesquels il cherche de nouvelles sonorités et brasse des images à lui, des paysages d’ailleurs, des sons sensibles à I’espace, dont il joue au bord de l’impossibie voyage, au delà du reflet des choses connues. La mélodie ou I’idée d’un son lui vient parfois encore sur un piano, mais de plus en plus souvent directement en jouant de cette nouvelle lutherie électronique. L ‘idée d’un timbre entraine ]a modification d’un instrument existant et Michel Geiss «le luthier de I’an 2000» lui fabrique tous les instruments. dont il a besoin.

Si I’on en croit le proverbe «les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur père» Jean-Michel Jarre fait un travail de désacralisation. invente son propre code. L ‘ Alchimie n’est pas un jeu d’enfant. Les nouveaux timbres qu ‘il découvre, il les compose pour mieux explorer I’espace comme si l’homme ne pouvant voler de ses propres ailes attachait son âme à la courbe des sons, grand voilier du ciel entre mouettes et soleil ; et il lance un premier signal «Oxygene» puis deux ans après donne un point de repère sans équivoque «Equinoxe», un futur agréable à vivre, aussitot saisi par les – médias – la radio en particulier – qui a fait «d’Oxygene» I’indicatif d’une émission pour teenagers en proie aux urgences de cette fin de siècle. La génération née du béton éprouve quelque difficulté à s’épanouir à I’ombre d’une architecture verticale. D’«Oxygène» à «Equinoxe» c’est le triomphe du ton «Jarre» qui a toutes les apparences d’un plebiscite international (plus de 5 millions de disques vendus dans 34 pays Pour «Oxygène» et un million et demi déjà pour «Equinoxe». Dans cette fin de XXeme siècle tournoyant, impalpable, perturbé par une nouvelle forme de révolution culturelle dont on trouve les signes au cinéma, dans la peinture, et chez les nouveaux philosophes, Jean-Michel Jarre invente ses propres références dans I’intégration harmonieuse de la «nouvelle écriture musicale» sur bande magnétique et la lutherie électronique. II prône le retour à la simplicité et à la communication contre la terreur intellectuelle et s’en explique.

LA LUTHERIE ELECTRONIQUE

” La France est malade de la tête ” depuis I’après-guerre. Je ne suis pas d’accord avec Xenakis qui dit publiquement que «ramener l’art à la sensibilité c’est être vulgaire». C’est de l’élitisme pur et simple. On se retrouve en plein XVIIeme siècle où I’on confondait sensibilité et sensiblerie. L ‘ Art c’est justement de pouvoir établir un dialogue au niveau de la sensiblité et particulièrement dans le monde actuel qui l’atrophie. Quitte à faire hurler les musicologues, pour moi la musique écrite est une sorte d’accident, car il ne faut pas oublier que les instruments style, pianos, violons, etc.. ont été inventés par rapport à un code existant, le solfège, qui est totalement arbitraire. Or maintenant on a tendance à considérer le piano comme I’instrument universel. Mais allez mettre un piano au milieu de la foret équatoriale et demandez aux indigènes qu’ils le considèrent comme un instrument de musique. Pas du tout, ils vont le considérer, exactement comme le public aujourd’hui considere un synthétiseur , c’est-à-dire comme une machine du diable, comme un aspirateur, une machine a laver, bref quelque chose qui n’a rien a voir avec «l’artistique». ! Donc ce qui est important pour moi, si I’on veut essayer de s’orienter vers une musique différente appropriée à notre culture et à notre temps, c’est de tenter de redéfinir une , ” lutherie adaptée a notre époque, et cette lutherie nous tend les bras, c’est la lutherie ;électronique. « Aujourd’hui les compositeurs sont en effet dans une position fondamentalement différente de celle de Tchaikovsky par exemple, qui n’avait pas de barrière entre le public et lui dans la mesure où il dirigeait une symphonie face au public. Alors qu’il existe maintenant une multitude d’écrans -(maisons de disques, radios, télévision et surtout la chaine hifi). Si le composlteur ne les connaît pas, il risque de perdre sa fonction. d’artiste qui est de communiquer avec les autres.

Donc pour moi il était essentiel d’apprendre quelles étaient ces nouvelles caisses de résonance que sont les médias en général et tous les procédés électroaccoustique ou électrique. C’est donc une supercherie de parler d’une musique acoustique puisque même Beethoven ou Mozart sont devenus des compositeurs électroacoustiques ou electroniques, car qui peut se vanter d’écouter la 9eme Symphonie telle qu’elle a été écrite, qui peut avoir l’Orchestre de Paris chez lui et I’écouter d’une façon acoustique. Ecouter un concert classique avec micros à I’orchestre et haut-parleurs dans la salle – je n’ai rien contre, mais à ce moment-l.à il faut donner aux musiciens une lutherie appropriée. Pour le violon, la clarinette ou le piano, le micro est une prothèse car ces instruments n’ont pas été faits pour cela. Les instruments électroniques conçus avec des procédés électriques ou électroacoustiques sont beaucoup plus spécifiques, et «efficaces» au sens artistique du terme, pour «passer» les haut-parleurs et la bande sonore. Le mot «efficacité» a été déformé depuis I’apparition du show business car il est maintenant lié à une notion de rendement industriel, or I’efficacité est inhérente à une démarche d’artiste, Van Gogh quand il peignait au couteau et non au pinceau c’était par souci d’efficacité. En résumé, il est extrêmement important au moment de la création, de connaître le chemin que va suivre sa musique. Dans ce sens, la haute fidélité devient un organe essentiel au niveau de la créativité – il faut donc savoir ce qu’est un haut-paleur, une cellule, une platine, un ampli. Quand je pense qu’aujourd’hui encore il y a des musiciens qui ne savent pas ce qu’est un studio d’enregistrement et un potentiomètre.

POUR MOl LE DISQUE EST LE SUPPORT ET L’ ABOUTISSEMENT LOGIQUE DE LA MUSIQUE ELECTRONIQUE

«oxygene» et «Equinoxe» ont été faits spéfiquement pour le disque qu’il est temps de considérer comme le support mécanique du son au même titre que le film est le support mécanique de I’image. Si je fais quelque chose pour la vidéocassette, pour la scène ou autre, ça s’appellera peut être «0xygène», mais je ferai une version différente. Vous ne demandez pas à Kubrick de faire une version scènique de «2001 Odyssée de l’Espace.» A partir du moment où vous travaillez avcc des procédés électroacoustiques de reproduction, il semble logique et essentiel de travailler au niveau de la création avec des instruments eux aussi életroacoustiques ou électriqucs. Aux Indes, en Chine, la musique fait partie de la vie alors qu’en France, on va dans des conservatoires pour apprendre un solfège, qui vous permettra effectivement de reproduire à I’infini tout ce que vous voulez, mais hors de ce code vous serez incapable de reproduire la musique des Pygmées aussi riche et complexe que la nôtre. II .n’est évidemment Pas question de rejeter l’utilité d’un code, mais de le remettre en question comme moyen universel d’approcher la musique. 11 faut lalsser les , enfants toucher les instruments et ressentir la musique. Lcs noirs qui ont créé le jazz ne sortaient pas du Conservatoire, ce qui prouve bien qu’on peut faire de la très bonne musique sans connaître le code. C’est au niveau de la reproduction que le code devient essentiel, bien que I’on puisse répondre que, sur une technologie nouvelle le problème est différent. La musique doit être un moment de créativité et non de pétrification autour du solfège. Dans mon studio je suis commc un peintre devant sa toile dans la mesure où j’utilise des instruments qui n’existaient pas il y a un an. Le code donc, ne sert a rien Pllisque person ne ne sait joller de cet instrument nouveau. Pour en revenir aux enfants, il faudrait leur donner la possibilité de concevoir Icur propre code qui leur donnerait cette espèce d’ouverture d ‘ esprit sans pour autant les empêcher ensuite d’avoir une technique commune. Dans cet esprit Jean-Michel Jarre fera un cycle de conférences dans les universités américaines.

UN COMPOSITEUR PEUT TRAVAILLER LE SON COMME UN SCULPTEUR LA PIERRE

Vous pouvez construire votre son, votre timbre, mais le son trouvé, la musique n’est pas faite. A partir de ce timbre il faut composer. Là pour moi est tout le quiproquo sur la musique électronique, où beaucoup de musiques sont en fait des sons qui n’ont pas été composés ou pensés en fonction d’une architecture musicale, mais simplement le son pour le son. La lutherie que j’utilise aujourd’hui est à son balbutiement et j ‘espère bien que dans 5 ou 10 ans les musiciens en auront une autre. II est temps de considérer que chaque musicien a droit à sa propre lutherie qui correspond à ses besoins.

«OXYGENE» A L ‘OPERA DE PARIS

Visualiser la musique ne gêne pas Jean-Michel Jarre dont «Oxygene» sera créé cette année sur la scène de I’opéra. La musique devient alors un élément du spectacle. Ceci dit «il y a 3 ou 4 ans j’étais persuadé que la musique allait vers une sorte de carrefour audiovisuel qui déboucherait sur un art nouveau. Je pense d’autre part, que plus on aura d’images devant les yeux plus on aura besoin de s’en créer sur la musique.

LE XXeme SIECLE VOLE EN ECLATS

Les titres de mes compositions correspondent à un souci d’écologie sur le plan intellectuel, c’est-à-dire que notre époque a besoin d’oxygène en général par apport à cette intellectualisation à tous les niveaux. «Oxygene» pour moi, c’est un élément, quelque chose de naturel qui ne dépend pas d’une culture, d’une époque et c’est très important sur un plan sociologique de revenir précisement à quelque chose qui ne soit pas un élément culturel.

«LA MUSIQUE QUE JE FAIS, JE VOUDRAIS QUE CE SOIT UNE SORTE D’INVITATION AU VOYAGE, TOUT EN LAISSANT LES GENS LIBRES DE LEUR ITINERAIRE»

Toute une génération aujourd’hui remet en question la salle de concert. Je suis content qu’«Oxygene» ou «Equinoxe» soit joué à Orly, Roissy, à I ‘Opéra ou dans les grandes surfaces. Pour moi c’est pareil. Des gens comme Folon refusent le ghetto des galeries de peinture pour exposer sur la couverture des magazines, et Granger (illustrateur de la pochette d’«Oxygene» et «Equinoxe») fait des tableaux tous les jours derrière Gicquel au Journal télévisé. Même les nouveaux Philosophes s’expriment dans Play-Boy et à la télévision car le public est là.

LA NOUVELLE GESTUELLE

Le synthétiseur n’est pas; une sorte d’orgue ou de piano sophistiqué. II demande une nouvelle gestuelle, une approche complètement differente et c’est important. Les gens de notre génération ont un rejet inconscient de la technique – c’est l’alchimie, le diable – une mécanique froide. Il faut demystifier tout cela, car l’émotion se communique aussi bien à travers une touche de piano, un tam tam, une mandoline ou un potentiomètre. Au mixage, vous pouvez interpréter avec des potentiomètres et des boutons exactement de la même façon, qu’avec un archet ou une corde de violon. Je joue avec un orchestre. Et de conclure : un culte en remplace un autre, On est en plein culte de la science. La grande aventure pout moi, c’est d’aboutir au disque sans être trahi.»

Colette Fellegi-Mallet

Matériel utilisé :

Enregistrement : Scully 16 pistes MCI à plusieurs départs échos par voies (le mixage fait partie de la création)

Echos magnétiques : Revox B77

Echos électroniques : EMT / AKG BX20

Egaliseurs : Ureï

Harmoniseur : Création de Michel Geiss

Phasing : pédale Small Stone (modifiée)

Synthétiseurs modifiés Rythme computer qui permet de fabriquer tous les timbres à percussion et de les mettre en mémoire ou de combiner les timbres entre eux.

Ecoute professionnelle : JBL 4330 biamplifiees, ampli Phase 400 dans le grave, GAS dans le medium aigu.

Ecoute domestique : JBL L16, ampli Rotel, platine Kenwood KDSOO, cellule Grado 1.

Nous reviendrons plus en détail sur ces materiels dans un prochain numéro.

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