«J’ai traversé une période difficile» (Le Matin, oct 2015)
«J’ai traversé une période difficile»
Jean-Michel Jarre
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Le musicien français a retrouvé l’inspiration en s’entourant d’un bataillon de collaborateurs dans «Electronica», un double album en deux temps qui rend hommage à la musique électronique.
Par Miguel Cid, Paris. Mis à jour le 13.10.2015 2 Commentaires
Après un passage à vide, Jean-Michel Jarre revient avec un nouvel album placé sous le signe du partage.
Image: Herve Lassince
Après un long hiatus, Jean-Michel Jarre met les bouchées doubles. Divisé en deux volumes, son nouvel album, «Electronica», réunit une trentaine de collaborateurs liés de près ou de loin à l’univers de la musique électronique. M83, Air, Vince Clarke et Tangerine Dream mais aussi Pete Townshend des Who, le cinéaste John Carpenter ou le pianiste chinois Lang Lang figurent au programme du premier volume, sous-intitulé «The Time Machine», qui sort ce vendredi 16 octobre. Quinze titres et presque autant d’invités prestigieux proposent une captivante ode à la musique électronique de ces quarante dernières années. Le deuxième volume est prévu au printemps 2016. Rencontre avec le Lyonnais dans son studio de la banlieue parisienne.
Vous avez mis huit ans à revenir. Aviez-vous besoin de faire une pause?
J’ai traversé une période difficile dans ma vie où j’ai perdu à la fois mes deux parents dans la même année et mon éditeur historique, en plus de problèmes personnels compliqués qui ont fait que j’étais bloqué dans le processus de création. Je me suis posé beaucoup de questions sur la manière dont je travaillais. Je crois aussi que sur la durée on peut s’égarer. J’ai eu envie que mon nouvel album soit placé sous le signe du partage, à un moment où on ne partage pas beaucoup justement.
C’est-à-dire?
On est connectés au monde entier mais par écrans interposés. On parle moins directement à ses amis et on ne connaît pas son voisin de palier. Et j’avais envie sur le plan de la musique d’exprimer ça, de collaborer avec des gens pour qui j’ai énormément d’admiration et de respect, tous différents mais liés à la famille de la musique électronique. De réaliser avec eux un album qui soit le mien mais de partager le travail en studio, de mélanger nos tocs. On a des manies en studio et je me suis rendu compte que cette aventure a été un voyage initiatique pour moi où j’ai pu décaler ces habitudes de travail, les comparer et les mettre en perspective. C’est la raison pour laquelle j’ai mis pas mal de temps. J’ai commencé ce projet il y a quatre ans et vraiment travaillé dessus jour et nuit parce qu’il a grossi au-delà de ce que j’avais imaginé.
Pourquoi?
Tous les gens avec qui j’avais envie de collaborer ont dit oui, ce qui fait que je me suis retrouvé avec beaucoup de musique à composer! J’ai donc décidé que ce projet serait divisé en deux avec un album qui sort en octobre et un autre en mars prochain.
Est-ce facile de partager un studio avec des artistes qui sont habitués à travailler seuls? N’êtes-vous pas d’ailleurs un control freak?
Je pense qu’on est tous des control freaks. Un artiste par définition est un control freak parce que sinon il ferait autre chose. Mais quand deux maniaques du contrôle se rencontrent pour réaliser quelque chose en commun, j’ai découvert qu’il y a un immense respect pour l’autre. La chose qui m’a probablement le plus touché dans cette aventure, c’est que dès le départ tous m’ont dit: «On travaille ensemble mais c’est toi qui auras le final cut. C’est ton album donc, on se met au service de ce projet.» Pour moi, on est totalement à égalité par rapport au travail qu’on a fourni. C’est une vraie collaboration et je pense que ça se sent.
Avez-vous retrouvé les repères que vous aviez perdus?
Oui, je pense que si j’ai décidé de faire de la musique électronique, c’était parce j’avais au départ une approche très sensuelle et organique de la musique. J’ai beaucoup parlé de ça avec 3D de Massive Attack – parce que c’est aussi un très grand peintre –, de cette envie de manipuler la matière, que ce soit de l’huile pour faire de la peinture ou des sons. C’est ça qui me donne de la jubilation, manipuler le son. Je m’étais un peu perdu en chemin avec l’évolution de la technologie mais je me suis retrouvé d’un seul coup totalement en phase avec la technologie d’aujourd’hui. J’ai retrouvé exactement les sensations que j’avais au début. J’ai été étonné de découvrir que les musiciens qui sont le plus au point avec les instruments contemporains ne sont pas nécessairement ceux auxquels je m’attendais.
Par exemple?
Pete Townshend est un des artistes avec qui j’ai travaillé qui est le plus pointu sur le plan des instruments d’aujourd’hui alors que des gens plus jeunes, que je ne citerai pas, sont finalement beaucoup moins conscients de la manière de les utiliser. Mais finalement on s’en fout des instruments. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait et le résultat. Et ce que j’ai beaucoup aimé dans ce projet, c’est que, au-delà des générations et au-delà des genres, il y a une émotion qu’on a essayé de donner et de partager. J’espère qu’elle sera ressentie par les gens qui vont écouter cet album.
«Electronica 1: The Time Machine», sortie le 16 octobre (Sony Music)